lundi 17 mars 2025

Comprendre le désespoir des Chagossiens grâce à Florian Grosset

 En 2021, l'autrice et illustratrice Florian Grosset a publié The Chagos Betrayal aux éditions Myriad, sous-titré « Comment la Grande-Bretagne a volé une île et fait disparaître son peuple ».

Couverture du roman graphique avec le logotype du prix Bread and Roses 2022 de l'Alliance des libraires radicaux (site web de l'éditeur Myriad).

Native de l'île Maurice et résidant dans le Kent, elle fait le récit de l'éviction des habitants des îles Chagos par les autorités britanniques dans les années 1960 et 1970, et leur tombée dans l'oubli et la misère au sein des sociétés des Seychelles, de Maurice et du Royaume-Uni, jusqu'à ce que des Chagossiens fassent appel à la plus haute juridiction britannique pour casser la séparation de leur archipel de la colonie de Maurice sous la forme du Territoire britannique de l'océan Indien (B.I.O.T. en anglais) et obtenir le droit de retourner y vivre.

Timbre de 2017 représentant les revendications de Maurice sur les îles et zones économiques exclusives du sud-ouest de l'océan Indien, dont l'archipel Chagos.

La suite est médiatiquement et juridiquement connue : à partir des années 2000 à l'approche de la renégociation de la location  par le Royaume-Uni de l'île Chagos Garcia comme base militaire aux États-Unis d'Amérique, l'État mauricien se lance dans une campagne internationale de revendication de l'archipel : la métropole coloniale n'avait pas le droit de dépecer le futur pays indépendant d'une de ses parties.

À partir de 2010, la campagne s'intensifie : le Royaume-Uni veut faire de l'archipel une aire marine protégée... ce qui, si Maurice récupérait la zone, ne permettrait pas de l'aménager et l'employer aisément à la pression de mouvement écologiste. Ici, pour une fois, Maurice se souvient de ses citoyens chagossiens.

Enveloppe premier jour mauricienne célébrant la décision de la Cour internationale de justice sur la souveraineté des Chagos, en août 2019.

Depuis que les institutions judiciaires inter-gouvernementales ont donné raison à Maurice, cette dernière et le Royaume-Uni négocient ce retour et les dédommagements, avec les États-Unis en locataire à long terme de Diego Garcia, en donnant cependant l'impression aux Chagossiens que leur droit au retour n'est pas au cœur des objectifs des gouvernants mauriciens.

Pourtant, le traumatisme est profond et voilà pourquoi la lecture du livre de Florian Grosset me paraît indispensable aux personnes intéressées et aux philatélistes souciant exposer cette histoire par une collection : une colonisation commerciale privée de l'archipel, son dépeuplement inhumain en pleine Guerre froide au détriment d'habitants absolument pas préparée à tout ce qu'ils leur sont arrivés économiquement bien sûr, mais aussi culturellement, socialement, juridiquement.

Sur ce dernier point, le mépris des « dédommagements » jurisprudentiels entre l'ancienne métropole et les deux États d'accueil contraint, ou pire, le dédommagement direct d'un Chagossien ont permis aux dirigeants britanniques de s'en laver les mains.

Sauf que le dessin de Florian Grosset montre le malheur de comment des populations descendants d'esclaves africains et de coolies de l'Empire des Indes sont déclarées non habitants de leurs îles avec la fermeture de la plantation de coco... Malgré les générations, ils ne sont pas considérés par le colonisateur comme résidents permanents, mais comme ouvriers temporaires d'une entreprise privée qui contrôle une bonne partie de l'approvisionnement de l'île, et donc du peu de monnaie privée en circulation.

En supprimant les salaires en nourriture, en fermant le magasin de la plantation, les habitants étaient condamnés à mourir de faim ou à monter sur un des bateaux... pour un voyage évoquant les conditions - durée, chaleur, promiscuité, etc. - des navires de traite humaine. Des familles furent séparées, un membre pouvant se trouver en séjour familial ou médical à Maurice, sans moyen de communiquer ce qu'il se passait aux Chagos, que l'autre se retrouvait aux Seychelles au gré du navire partant.


Un autre horrible moment - si « horrible » a encore du sens dans tout ce qui a été vécu - : lorsque des gros bras (militaires ?) du nouveau Territoire britannique de l'océan Indien attrapent tous les chiens des îles et, devant hommes, femmes et enfants, les brûlent vifs dans le calorifère qui servait à sécher le coprah...

Officiellement, tous ces agissements sont déclarés du fait du dirigeant et du personnel de la plantation... L'Administrateur du B.I.O.T. et ses subordonnés n'avaient visiblement aucune morale, ne protégeant pas des personnes devenues des nationaux britanniques de fait.

Il reste à espérer que les Chagossiens puissent se réinstaller ou aller et venir vers l'archipel s'il le souhaite dans un avenir proche. En petit nombre, il devrait moins polluer que la base militaire de la première puissance mondiale.


Dans le contexte actuel aux États-Unis, j'évite désormais Aw@z0n pour mes livres anglophones. J'ai testé Waterstones puisque le livre est britannique ; envoi contre signature, frais de port donc supérieur à..., mais la morale n'a pas de prix dans les années trent... actuelles.

Si un lecteur anglophone connaît des librairies plus indépendantes : qu'il n'hésite pas.

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