Quatrième semaine de l'opération main propre du Premier Ministre Modi à l'échelle des échanges monétaires d'un État-continent entier.
Quelques rappels : brutalement, depuis le mercredi huit novembre dernier, minuit, les billets de cinq cents et mille roupies n'ont plus de valeur marchande, sauf pour quelques exceptions de service public, d'intérêt social ou pour faciliter la vie économique d'un pays privé de numéraires d'un coup.
La Reserve Bank of India peine à diffuser les nouveaux billets de cinq cents et ceux de deux mille posent des problèmes de rendu de monnaie. Les Indiens devront faire avec quelques semaines encore, surtout avec le durcissement des conditions de l'échange anciens/nouveaux billets, ou passer à la dématérialisation des paiements pour peu que certains gros acteurs économiques jouent le jeu.
Ce lundi vingt-huit, l'opposition furibarde sur la manière de faire et alarmée des problèmes des plus modestes et des agriculteurs appelait à une mobilisation nationale pour faire barrage à cette politique.
Toujours avec le suivi en direct de The Times of India (semaines 2 et 3 par les liens).
Lundi vingt-huit novembre: jour de colère.
Les compte-rendus de manifestations permettent aux journaux de reprendre les principaux arguments d'incompréhension des partis d'opposition : l'impréparation des autorités, la surprise subie par le peuple, la lutte contre l'argent sale et la corruption en introduisant une nouvelle coupure de valeur supérieure, pourquoi le Premier Ministre n'a-t-il pas présenté cette politique lors de l'ouverture de la session de l'Assemblée nationale quelques jours après...
Cependant, ces partis sont divisés : de ceux qui appellent à un Bharat bandh, une forme de grève générale, à ceux qui acceptent le moyen et le but de la démonétisation, mais pas la méthode : ainsi, des quartiers de commerces fermés alternent avec de grandes marches ou une vie urbaine toujours active. Les transports ferroviaires et aériens fonctionnent sans souci.
Néanmoins, cette journée permet à de nombreux chefs des gouvernements fédérés et des dirigeants politiques locaux de s'exprimer sur le sujet et de rappeler les groupes sociaux qui souffrent le plus depuis le début du mois. Certains ministres en chef mènent même des manifestations.
Les réponses des membres du Parti du peuple indien, au pouvoir, sont identiques depuis trois semaines : ceux qui s'opposent à la démonétisation sont ceux qui ont de l'argent sale à cacher.
En attendant, The Times of India a fait le tour des files devant les distributeurs automatiques de Delhi, de la banlieue vers le centre : l'approvisionnement laisse à désirer. Il vaut mieux attendre devant les appareils installés aux stations de métro.
Mardi vingt-neuf novembre : la fin du mois arrive... avec les fiches de paye.
Les protestations publiques ont continué dans une certaine mesure aujourd'hui. Les commerçants d'un village manquant de liquidités sont restés fermés. Et Mamata Banerjee tenait meeting à Lucknow, en Uttar Pradesh.
Le Premier Ministre a répondu tactiquement : ils demandent aux députés fédéraux et fédérés du Parti du peuple indien (BJP) de remettre les relevés de transactions de leurs comptes bancaires entre le huit novembre et le trente-et-un décembre au président du parti.
Plus pratique, le gouvernement a abaissé deux taxes sur les banques pour qu'elles installent un million de terminaux de paiement par carte dans les trois prochains mois. Et une coopérative agricole, l'Indian Farmers Fertiliser Cooperative, va former les agriculteurs à la banque dématérialisée.
D'après la Reserve Bank of India, soixante pour cent de la valeur des billets démonétisés ont été récupérés, l'essentiel par versement sur les comptes bancaires et trois pour cent par échange.
Dans les étranges effets de la démonétisation : de la nuit du mardi huit aux trois jours suivants, cent mille téléphones Apple ont été vendus en Inde, certains magasins les vendant même au-dessus du prix habituel. Plus sérieux, l'année 2016 est celle où le plus de combattants maoïstes se sont rendus aux autorités dans l'Est du pays : près de mille quatre cents dont plus de cinq cents en novembre.
Victimes de la démonétisation sont les touristes qui se sont retrouvés en cours de voyage avec l'essentiel de leur budget en billets sans valeur, atteignant le plafond de leurs cartes bancaires, subissant des frais prohibitifs des commerçants et restaurants pour faire accepter ces billets.
Enfin, mardi marque, jusqu'au dix décembre, de la période de paiement des salaires en Inde, avec les retraits de numéraires par les employeurs ou les salariés... Les banques ont de grandes craintes car, si les livraisons de billets de cinq cents roupies augmentent chaque jour, le nombre fourni ne suffira pas. Pour la logistique, les groupes bancaires mettront à disposition plus d'employés et de comptoirs, et continueront à proposer des comptes en banque et des solutions dématérialisées aux travailleurs des secteurs informels.
Mercredi trente novembre : journée légère, rien ne change.
L'article de mercredi matin de Times of India confirme le problème de la paye mensuelle : des agences bancaires dans des quartiers centraux des métropoles indiennes ont dû fermer plus tôt que prévu, faute de billets en quantités suffisantes.
La Reserve Bank of India confirme avoir doublé sa capacité d'impression de nouveaux billets de cinq cents roupies, ainsi qu'augmenter celle des billets de cent roupies. Cependant, les billets de deux mille restent ceux les plus disponibles dans les banques et les automates de retrait... et comme l'ensemble des acteurs économiques a tendance à thésauriser les billets de cent...
Se multiplient les faits divers qui atteignent les journaux : hier, à Ghaziabad, le directeur d'une banque et un de ses clients ont prété sur leurs fonds propres l'argent nécessaire pour une crémation. L'agence n'a reçu que deux jours de billets la semaine dernière et aucun billet cette semaine.
Problème de riche : la banque centrale devrait mettre un an pour vérifier et détruire quinze milliards de billets démonétisés, escomptant récupérer soixante-dix pour cent d'entre eux.
Jeudi premier décembre :
Les chefs des partis de l'opposition ont rencontré le président de la république pendant que la session d'hiver des deux chambres du Parlement continuent à être bloquées par la démonétisation. L'opposition accepte d'entendre le Premier Ministre s'il y a un vote, mais étant minoritaires pour une censure, ils multiplient les ajournements.
Le président a reçu un mémorandum en opposition à la nouvelle loi fiscale votée punissant les revenus non déclarés d'une amende de soixante pour cent du montant découvert.
Le gouvernement a continué à communiquer sur la dématérialisation des paiements - à marche forcée - en indiquant qu'une hypothèse de travail était l'emploi du numéro personnel de recensement de chaque Indien (l'Aadhaar) couplé à l'iris ou une empreinte digitale pour valider une transaction à travers une application téléphonique.
Et il a annoncé que les anciens billets de cinq cents roupies ne seront plus valables pour le paiement aux stations d'essence et pour l'achat de billets d'avion après demain vendredi, au lieu du quinze décembre initialement.
Tout ça pour faire oublier l'aggravation du problème de liquidités ? Au troisième jour de la période du versement des payes et des pensions, les agences bancaires de tout le pays ne parviennent pas à disposer de suffisamment de billets pour faire face aux demandes de retraits. Entre distributeurs automatiques vides et refus de servir les non-clients de l'agence, le rationnement est de mise.
Cependant, des scènes de colère sont rapportées dans la presse un peu partout, notamment quand les agences ne peuvent délivrer que des billets de deux mille roupies alors que les commerces ne parviennent plus à rendre la monnaie...
Vendredi deux décembre : India Ratings et les pieds dans le plat.
Les ministres des finances et de l'intérieur tentent d'appeler à la patience face au manque de billets : d'ici le trente décembre, la situation sera revenue à la normale. Pendant que les services fiscaux garantissent suivre toutes les pistes de dépôts et d'échanges suspects pour retrouver les fraudeurs à la déclaration des revenus.
L'agence India Ratings & Research estime que seulement douze pour cent de l'argent sale va être supprimé par la démonétisation, celui sous forme d'activités illégales payées en liquide et le trafic de fausse monnaie. Elle estime également que les conséquences positives seront limitées : elle évalue à une diminution d'un point de la croissance du produit intérieur brut pour l'année fiscale 2016-2017, avec une baisse des rentrées fiscales ensuite à cause du ralentissement de l'activité économique.
Côté rural, la Cour suprême a interrogé le représentant du gouvernement sur la raison d'avoir exclu les banques coopératives rurales de la démonétisation, entraînant des difficultés monétaires dans les campagnes. Réponse : leur inexpertise à détecter les faux billets.
Suspendu depuis le onze novembre face au manque d'agent liquide - notamment pour les conducteurs de camions, les péages sont rétablis sur les autoroutes et routes fédérales. Les anciens billets de cinq cents roupies peuvent y être utilisés jusqu'au jeudi quinze.
Bonne nouvelle pour le gouvernement dans la dématérialisation de l'économie : dans la ville de Gurugram, en Haryana, la police routière sera équipée, la semaine prochaine, de lecteurs de cartes pour le paiement électronique des amendes et comprenant un lecteur de puces des cartes sans contact.
Mauvaises nouvelles : les chauffeurs de taxi (pour l'achat d'essence, affirment-ils) et le personnel de maison veulent se faire payer en billets de banque... Pour les seconds aux patrons de faire la queue devant les banques ou d'économiser leurs rares billets.
Samedi trois décembre : étrangement calme, les journalistes font la queue pour trouver des billets ?
Tiens ! Aucune information sur le suivi en direct des effets de la démonétisation sur le site du Times of India. Les événements et les aléas pour la population seraient-ils devenus si répétitifs ?
Non, la ministre-en-chef du Bengale-Occidental et anti-démonétisation Mamata Banerjee et le gouverneur de l'État Keshari Nath Tripathi, membre du parti du Premier Ministre Modi, et leurs soutiens ont échangé par médias interposés sur pourquoi l'armée surveillait les péages routiers - redevenus payants. L'une, dirigeante élue, s'inquiétant d'une tentative de coup d'État, l'autre, incarnation de l'État, refusant de laisser quiconque s'en prendre à l'armée... Entre rôle de l'armée dans la démonétisation et respect du gouvernement élu par le préfet nommé.
Le ministre fédéral du travail a annoncé que les travailleurs devront recevoir leurs salaires par virement bancaire ou par chèque. Il devrait signer une ordonnance prochainement avant de demander au Parlement d'amender la loi sur le paiement des salaires.
Lentement, le Premier Ministre va-t-il réussir ce pari insensé de mettre fin à toutes les files d'attente et à l'impunité de l'argent sale, pour reprendre les deux thèmes de son discours du jour à Moradabad.
Dimanche quatre décembre : aussi calme médiatiquement que le samedi ?
C'est bientôt Noël. Un cabinet de réflexion gouvernemental, l'Institut national pour transformer l'Inde, offre une prime de dix roupies aux hauts-fonctionnaires de districts par citoyen qui effectuera deux transactions dématérialisées. Ils sont encouragés à user des fonctionnaires déjà formés aux nouvelles technologies pour remporter un prix du district le plus transformé.
Efficacité de la police : à Sambalpur, en Odisha, un vendeur d'alcool et racketteur a été arrêté avec ses fils et des complices, dont un employé de banque, en possession d'une grosse somme en anciens billets démonétisés, mais surtout avec une somme encore plus importante en nouveaux billets de deux mille.
Inefficacité des banques ? La principale agence de cybersécurité du pays avertit que l'encryptage des données bancaire par les systèmes bricolés de retrait d'espèces doit être garantis. Les systèmes sont le micro-ATM et le POS. Le premier est un employé mobile de banque faisant office de distributeur de billets en extérieur et dont l'équipement communique à distance avec les serveurs de l'institution. Le second est simplement l'utilisation des terminaux de paiement pour faire office de vérification de l'identité du client. L'agence rappelle que les informations du client doivent être chiffrées dès que possible et toujours l'être pour la communication entre l'appareil et les serveurs de la banque.
Bande-annonce : la banque centrale a annoncé l'arrivée prochaine des nouveaux billets de vingt et cinquante roupies sans démonétisation des anciens billets.
Clap de fin ? Cible des partis d'opposition, Urjit Patel, le gouverneur de la banque centrale indienne depuis septembre, sera peut-être laissé tranquille sur son train de vie. Son établissement a divulgué ses salaires et avantages, ainsi que ceux de son prédécesseur. Monsieur Patel consomme moins de voitures avec chauffeur (deux) et, s'il loge dans la résidence officielle de Mumbai, la banque ne lui paye pas d'employés.
À suivre dans un nouvel article.
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