Le but est la lutte contre la corruption, l'argent criminel et les faux qui seraient diffusés par les ennemis de l'Inde. Depuis bientôt une semaine, les files d'attente devant les banques sont le lot quotidien ; et, parmi les secteurs économiques touchées, les paysans s'inquiètent fortement dans un pays peu bancaire où les transactions en espèces constituent 90% des transactions.
Une seule source faute de temps : le suivi en direct par The Times of India, de Delhi.
Mardi quinze novembre :
Les jours se suivent et se ressemblent : le gouvernement indien dicte/conseille aux banques ce qu'elles doivent faire pour gérer les échanges de billets. Aujourd'hui : embaucher leurs employés retraités ! Voire marquer le doigt des clients à l'encre électorale.
Ou embaucher les bijoutiers par exemple : depuis la descente du fisc, les bijouteries de Delhi restent fermées pour le cinquième jour consécutif.
Quant à encrer les doigts... ce fut la phrase du secrétaire du Ministère des Finances dont s'est saisie aujourd'hui l'opposition, après avoir épuisé celle du Premier Ministre (en gros : pendant la démonétisation, les pauvres dorment du sommeil du juste, pendant que les riches achètent des somnifères).
Le secrétaire du Ministère des Finances affirme que les stocks de nouveaux billets sont suffisants et que les files sont dues aux mêmes personnes qui reviennent plusieurs fois, probablement pour blanchir ainsi de l'argent frauduleux petit à petit. Rassurant a-t-il été sur le rappel que les stocks de sel sont suffisants, nulle inflation ne serait justifiée. Et, dans les lieux devant accepter les anciens billets, il enquêtera sur toute pharmacie ou hôpital publics qui refuseraient ces paiements.
À l'Assemblée nationale, session spéciale : des partis de l'opposition veulent rencontrer demain le Président de la République Pranab Mukherjee, voire faire appel à la Cour suprême sur la manière de procéder. Celle-ci a demandé au gouvernement quelles actions il allait prendre pour résoudre le problème de la longue attente aux banques.
Dans les faits divers affectant l'Indien honnête qui dort tranquille, paraît-il, une famille a été escroquée alors qu'elle cherchait à changer une masse de billets démonétisés pour procéder aux achats nécessaires à un mariage. Une église d'une modeste paroisse du Kerala laisse son tronc ouvert pour que ceux en mal d'espèces empruntent les petites coupures pour leurs dépenses immédiates.
Dans les bonnes nouvelles, les marchands de machines de paiement par carte bancaire ne chôment pas : le paiement par carte est à la mode dans les grandes villes - ce qu'encourage le gouvernement depuis mercredi. À l'opposé, combien de camions à l'arrêt faute d'argent et combien de journaliers non payés immédiatement car leurs patrons veulent conserver le peu de billets en caisse ?
Le billet de cinq mille roupies du Pakistan (via Daily Pakistan). |
Mercredi seize novembre :
Jouez en bourse avec la démonétisation surprise : après les groupes de gestion des automates bancaires et des appareils de paiements par carte, voici les fournisseurs d'encre : les banques vont marquer le doigt des clients déposant ou échangeant les billets démonétisés (certains ont commencé dès aujourd'hui). Le fournisseur électoral Mysore Paints est aux anges. Moins heureux est le secteur du cinéma en télougou : les salles sont vides et des sorties sont reportées.
Les services de renseignements pensent que la pénurie de billets va durer encore une semaine car les habitants thésaurisent les billets de cent roupies ; les nouveaux billets de cinq cents roupies n'arrivent pas assez vite, ni en quantités suffisantes dans les banques du pays. Concernant la sécurité du pays, les transferts par hawala vers les groupes terroristes ou séparatistes au Cachemire ont cessé brutalement, tandis que les maoïstes de l'Est ont du mal à échanger leurs ressources.
Dans les propositions d'urgence des États fédérés. Après le Kerala lundi, c'est le gouvernement du Tripura de demander à ce que les banques coopératives rurales puissent participer au processus d'échange. Le gouvernement du Karnataka suspend pour les banques le jour férié de demain jeudi afin qu'elles poursuivent l'effort. Plusieurs institutions fédérées ont commencé des actions pour vérifier les effets de la démonétisation sur leurs revenus fiscaux ou si la Banque centrale dessert bien leur État en nouveaux billets.
Côté politiciens, les soutiens et les opposants au Premier Ministre sont placés devant les caméras. Du côté des premiers, acteurs, Premier Ministre mauritien en visite à Gao. Les chefs de l'opposition ont mené une manifestation contre la démonétisation en se rendant à la résidence du Président de la République pour qu'il intervienne auprès du Premier Ministre afin de rétablir la normalité.
Concernant l'étranger, le Times of India explique aux citoyens indiens résidant à l'étranger (NRIs) leurs règles du jeu : ils vont devoir venir en Inde ou donner procuration en Inde pour pouvoir échanger ou déposer sur leurs comptes d'expatriés (NROs) leurs billets démonétisés d'ici fin décembre, ou les échanger à la Banque centrale en Inde d'ici le trente et un mars 2017.
Jeudi dix-sept novembre : c'est la crise...
Décidé aujourd'hui : à partir de demain, chaque Indien ne pourra changer que deux mille roupies en billets démonétisés et une seule fois jusqu'au trente décembre ! La population est donc vivement encouragée à déposer ces billets sur leur compte et à utiliser des moyens de paiement bancaires. La même somme pourra être retirée chaque jour dans vingt mille stations d'essence par paiement par carte.
La baisse de ce maximum d'échange en liquide a aggravé la colère des partis d'opposition, même si le bilan de la séance parlementaire du jour est confuse : le Premier Ministre refuse-t-il de répondre ou les opposants à la démonétisation ont-ils réalisé la fragilité de leur position ? En effet, ils acceptent les buts mais pas la manière dont elle a été réalisée si brutalement. Des questions sur la capacité d'impression de la Banque centrale surgissent : un opposant l'estime à sept mois pour remplacer la somme totale démonétisée.
Pendant que la Ministre-en-chef du Bengale-Occidental, Mamata Banerjee, n'a cessé, dans un discours à Delhi, de rappeler que les ruraux et les pauvres subissent de plein fouet cette démonétisation, éloignés qu'ils sont de « l'économie-plastique » de la carte bancaire.
Des facilités vont être accordés à certains pourvu que le client soit identifié par la banque. Aux agriculteurs pour les semences et les marchés, et un délai de quinze jours pour le paiement des assurances sur les récoltes. Pour les mariages à raison d'un seul retrait par famille de chacun des conjoints. Enfin, une partie des fonctionnaires fédéraux peuvent demander une avance sur salaire en espèces pour diminuer la pression sur les banques.
Cependant, des petites usines se plaignent du manque de liquidités qu'elles obtiennent quotidiennement, ne leur permettant plus de payer les travailleurs journaliers et leurs fournisseurs. Les touristes peuvent profiter de vols en promotion : que ce soit en intérieurs ou à l'international, les compagnies aériennes connaissent une baisse du nombre de passagers.
Dans les États fédérés, les transports collectifs du Gujarat accorde une ristourne de cinq pour cents aux achats en ligne. La gratuité des péages autoroutiers est prolongé jusqu'au vingt-quatre novembre.
Vendredi dix-huit novembre : ...ou juste quelques contre-temps.
La mise en place du marquage à l'encre d'un doigt des clients échangeant leurs billets démonétisés a réduit les files d'attente de quarante pour cent d'après le directeur l'Indian Bank Association. Il a précisé que les banques seront ouvertes demain samedi uniquement pour les autres opérations de leurs propres clients et pour échanger les billets des seuls clients âgés.
Et pour alléger le fardeau des banques, le gouvernement a menacé ceux qui utilisent des comptes d'autrui pour déposer leurs billets, et aussi ceux dont le compte sert ainsi. Moins menaçant, début des retraits de billets dans des stations-services par carte bancaire : deux mille cinq cents aujourd'hui, vingt mille d'ici lundi, une proposition des principaux groupes pétroliers indiens.
Les paiements par carte bancaire ont doublé depuis le huit et Bill Gates soutient le processus, notamment car il va accélérer la numérisation de l'économie indienne. Des faits auxquels s'opposent les opposants rappelant les problèmes des agriculteurs et le ministre-en-chef du Kerala, Pinarayi Vijayan, et ses ministres ont mené une grève de la faim d'une journée devant le bureau régional de la Banque centrale pour protester contre la démonétisation.
Cependant, les opportunistes sont alertes : en Uttar Pradesh, des agents immobiliers proposent des logements dont une partie du prix peut être payé en billets démonétisés. Certains réseaux de promoteurs disposeraient de nombreux petits comptes en banque pour déposer ces billets ensuite en banque.
Sur le front étranger, le ministre de l'Intérieur affirme que les entrées de fausse monnaie ont cessé aux frontières avec le Bangladesh, le Népal et le Pakistan, ainsi que par l'intermédiaire des hawalas.
L'opposition exagère-t-elle ? Une impression d'improvisation gouvernementale perdure : un comité inter-ministériel est formé pour explorer les réponses à apporter aux consulats en Inde (percevoir les frais consulaires en billets démonétisés), aux touristes devant arriver, aux Indiens expatriés et aux bureaux de change étrangers.
Confirmé par le résumé de l'échange entre l'Avocat Senior et l'Avocat général du Gouvernement devant la Cour suprême. Les juges s'interrogent sur les risques d'émeutes avec ces longues files, sur l'impact économique dans les campagnes, la pénurie de billets qu'indiqueraient la baisse du plafond d'échange. Ils ont aussi confirmé le droit des cours du pays de recevoir les pétitions citoyennes concernant la démonétisation, quant l'Avocat général souhaitait une procédure unique auprès de la Cour suprême.
Enfin, pour revenir à l'encre indélébile du début, la Commission électorale s'inquiète pour les élections fédérées de novembre... Comment distinguer citoyens clients de banque de ceux ayant voté, demande-t-elle au ministère des Finances ?
Samedi dix-neuf novembre : dans le plus grand secret.
Ce matin, The Times of India publie le témoignage du patron de la State Bank of India. Ses concurrents et lui ont appris la démonétisation, dont ils sont un acteur essentiel, en même temps que la population. Le mardi huit, la Banque centrale les a convoqués à son siège de Mumbai pour une réunion sans ordre du jour à dix-neuf heures.
À Surate, au Gujarat, les fermiers producteurs de lait ont manifesté pour se plaindre de l'impossibilité de déposer ou d'échanger leurs billets démonétisés dans leurs banques coopératives rurales. Ils menacent de cesser de livrer leur coopérative laitière.
Le département fiscal en charge de l'impôt sur le revenu a lancé des centaines de demandes d'information auprès de contribuables, entreprises et associations qui ont déposé plus de deux cents cinquante mille roupies sur leurs comptes bancaires depuis la démonétisation. Les deux premiers groupes doivent prouver l'origine des fonds, les dernières présenter leurs comptes au trente-et-un mars 2016.
Une pause le soir pour le Premier Ministre qui a ouvert le concert du groupe britannique Coldplay à Mumbai. Avec humour, il a promis de rembourser les jeunes spectateurs en billets de cent roupies s'il se mettait à chanter. Plus sérieux, il a demandé à la jeunesse d'être l'avenir, de montrer la nouvelle voie aux anciens.
Dimanche vingt novembre : enfin du calme (au moins dans les villes) ?
Peut-être pas du côté des politiciens : des militants ouvriers du Parti du Congrès ont été repoussé au canon à eau par la police à Chandihargh alors qu'ils manifestaient à proximité d'un meeting du président du Parti du peuple indien au pouvoir.
Voire des solutions annoncées cette semaine passée (soupirs) : un article du Times of India explique pourquoi les banques ne suivent pas. Pour l'avance de liquidités pour les mariages, elles attendent le décret du ministère des finances pour avoir des règles précises... Quant au retrait en station-service par l'intermédiaire du paiement par carte des pompes à essence, seules trois mille stations liées à la State Bank of India le permettent (logiciel, sécurisation et identification de la transaction) depuis hier, mais les trois autres grands groupes doivent mettre à jour le logiciel utilisé... Cela rappelle la reconfiguration des compartiments des distributeurs automatiques de billets, toujours en cours.
Certains ont compris la leçon tout de même : le marché de pêcheurs de Kolkata passe au porte-monnaie électronique - vingt pour cent des revenus de la semaine. Cependant, les grossistes veulent toujours du cash... et les marchands doivent faire la queue devant les banques.
La démonétisation rappellent également des réalités domestiques : l'épargne des femmes mariées est bousculée par le Premier Ministre. Ayant peu d'autonomie financière face à leurs époux, les femmes au foyer gèrent au mieux leur maison afin de mettre de côté des milliers de roupies en cas de divorce, au cas où il faudrait aider et soigner leurs propres parents ou faciliter les études de leurs filles. La démonétisation les force à révéler tout cela, le déposer sur le compte-joint du couple...
Lundi, ouverture d'un nouvel article pour suivre les conséquences de la démonétisation des billets de cinq cents et mille roupies en Inde.
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