dimanche 9 janvier 2022

Sac et ressac des vagues de La Poste sur ses facteurs

 En une semaine médiatique, du lundi au samedi, j'ai pu entendre des facteurs désespérés de la nouvelle organisation de leurs tournées depuis fin 2021 et voir le bonheur de quatre facteurs ruraux suivis entre mars et octobre 2020. Où est la vérité ?


Commençons par la fin : la diffusion hier samedi huit janvier sur TF1 d'un Reportage découverte sur « Des femmes et des hommes de lettres pas comme les autres », quatre facteurs et factrices sur des tournées complexes en Guyane, dans l'Aude, au Queyras dans les Alpes et sur l'île d'Oléron, mais parvenant à toujours être en lien et au service absolu des clients desservis.

Printemps comme été 2020, ils participent à la survie de la vie locale : petites entreprises isolées recevant des colis jusqu'à trente kilogrammes sans avoir à redescendre dans la vallée urbanisée, retraités pouvant restant chez eux grâce à une factrice livrant des courses d'épicerie apparemment en plus de son travail, apprendre les différentes langues de la Guyane forestière, etc.

Bref, à ma surprise, une chaîne privée, à la pensée économique libérale, qui soutient un service public rural méritant et montré explicitement comme le seul allant encore dans ces espaces isolés.


À l'opposé du reportage Des Pieds sur terre du lundi trois janvier de France Culture titré « Le facteur n'est pas passé », dans lequel quelques facteurs d'Albertville, en Savoie, témoignent des causes de leur grève en décembre 2021 contre la nouvelle réorganisation de leurs tournées.

Évoqué sur ce blog en novembre lors de l'alerte lancé aux médias par les syndicats postaux de Montpellier, la réorganisation est expliquée et très mal vécue par les postiers savoyards : ils ne trient plus en brigade leurs tournées tôt le matin. De neuf heures à seize heures, désormais, ils doivent effectuer trois tournées - a priori - plus petites en trajets ou en volume de courrier, c'est-à-dire, d'après le vocabulaire officiel, trois « vagues » entre le centre de distribution et les destinataires.

Et, ce sac et ce ressac semble être une souffrance : de la fonctionnaire de quatre décennies de métier au jeune en reconversion le temps des confinements du covid-19, aucun ne paraît réussir à dépasser la moitié de la deuxième tournée dans le temps imparti... Un sentiment d'échec pèse sur eux.

À cela s'ajoute quelque chose non montré dans le reportage de TF1, c'est que ce système de tournées multipliées dans la journée casse le lien entre un facteur et un secteur urbain, péri-urbain ou rural. Une habituée des villages expliquent son désarroi face aux murs de boîtes dans les immeubles... Un autre se demande comment on passe d'un quartier urbain le matin à un village alpin pour la deuxième « vague » ?

Quand on a vu l'aspect sportif d'une tournée dans le Queyras sur TF1, on le comprend aisément.


Qui dit vrai ? Lequel de ces reportages est plus véritable que l'autre ?

Les facteurs, une moitié de courageux ruraux « hussards bleu » de la République égalitaire, une moitié de glandeurs urbains désespérants ? Ou, encore, une poignée de privilégiés conservant leur tournée et leurs habitudes éternelles et que les directions régionales ont choisi pour la chaîne privée, une majorité d'exploités invisibles d'une direction courrier plus assez rentables face à la concurrence sur le colis ?

Ce sont les images qu'on en aurait en fin de semaine, une fois regardé et écouté les deux reportages, sans compter celui sur les aléas des économies intérimaires à la direction des ressources humaines de La Poste à Nancy, dans le journal de dix-huit heures de vendredi de France Culture...


En fait, ces trois reportages sont insatisfaisants pour le citoyen voulant savoir ce qu'il se passe dans La Poste de la rentabilité.

Déjà, le calendrier : TF1 a travaillé avant la réorganisation de fin 2021 et diffuse son reportage alors que, depuis deux mois, le Groupe La Poste communique sur ses postiers à grand renfort de publicité presse et affiche, que sur Twitter le groupe et les directions régionales reprennent le reportage de TF1 depuis hier.

Correspondrait-il à l'image idéale du quotidien que La Poste souhaite projeter ? Mais alors cela veut dire que La Poste tolère que des facteurs aident gratuitement, sur leur temps de travail, au risque d'un accident des personnes sur la tournée ??? Le journaliste oublie-t-il de signaler que courses et visites audoises sont peut-être liées à des contrats entre La Poste, ces particuliers, leur famille ou leur commune ? Y aurait-il dans l'espace rural une inégalité de service entre usagers : mon facteur urbain peut-il réaliser les mêmes choses à mon avantage, ça m'éviterait de sortir certains matins froids ?


En retour, face à la communication de La Poste, la rédaction de France Culture et les équipes de ses émissions ont-elles choisi alors d'aller chercher le point de vue opposé en allant à la rencontre des postiers en réorganisation ?

Il est vrai que, là encore, l'absence des directions postales dans les reportages radiophoniques interroge autant que leur absence dans celui de TF1... même si là, il ne semble pas que les directions régionales de Rhône-Alpes et de Lorraine aient retwitté... Certes, la réponse de la Direction des ressources humaines de La Poste est résumée par la journaliste, mais ça n'équivaut pas à avoir une personne qui parle au micro.


Beaucoup de questions restent en suspens : réorganisation fonctionnelle ou casse du métier sur l'autel de la rentabilité ? Une divergence ville - campagne à La Poste : pourquoi, comment ?

Et, un des facteurs d'Albertville aurait-il raison ? Les trois « vagues » impossibles à tenir seraient-elles un moyen discret pour le pouvoir économique et le pouvoir politique de passer à moins de six tournées par semaine en moyenne sans le dire...


Complément du mardi dix-huit janvier 2022 :

Aujourd'hui, mardi dix-huit janvier 2022, France info publie une enquête réalisée auprès d'une factrice dans l'Essonne, en Île-de-France : tournées mal préparées, courrier retardé, postier dépassé...

... et quand les habitants râlent, on fait tourner une voiture postale, mais sans distribution, pour donner le change. À lire par ici.


Complément du dimanche vingt-quatre septembre 2023 :

Dans l'Aude, des postiers du centre de tri de Limoux, dans le sud de l'Aude - que je pense être l'objet du reportage de TF1 -, sont en grève car leur direction refuse de repousser une réorganisation des tournées à mars, rapporte L'Indépendant le dix-neuf septembre 2023.

Ces fameuses réorganisations instituées fin 2021 afin d'optimiser le travail - ou essorer - des facteurs.

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