lundi 1 mai 2023

Le won de l'unification dans l'adaptation coréenne de La casa de papel

 De 2017 à 2021, la série espagnole La casa de papel a captivé les téléspectateurs de la chaîne Antena 3 puis du service en ligne Netflix. L'intrigue : sous la direction du Professeur, un groupe va braquer la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre en plein Madrid.

Netflix fournissant de nombreux marchés nationaux a une politique de commande délocalisée pour fidéliser le public local, et, selon le contexte, porter la production à l'international : voir Lupin avec Omar Sy.

La casa de papel est ainsi repris dans le contexte des relations inter-coréennes dans Money Heist: Korea – Joint Economic Area - 종이의 집: 공동경제구역. En français, La Maison de papier : Zone économique commune. La première saison a été mise en ligne en deux blocs : six épisodes en juin 2022, les six derniers en décembre dernier.

Dans un futur proche, les deux Corées se sont rapprochées. La circulation entre les deux pays est possible et l'unification monétaire est en cours accompagnée d'investissements sud-coréens au nord et d'exportations du nord vers le sud.

Dans ce cadre, une métropole-nouvelle avec statut de zone économique spéciale a été construite dans la zone démilitarisée. Tout le plan circulaire est centré sur l'imprimerie des nouveaux billets de banque.

Extraits du début de la série : exposition des nouveaux billets et observation sous la loupe du billet-héros par un imprimeur (captures trouvées grâce à Google Image).

La mise en place du lieu et des personnages permet de découvrir ces billets imaginaires. Un groupe de lycéennes, dont la fille de l'ambasssadeur des États-Unis, passe l'exposition montrant les billets déjà en circulation et celui qui est en cours d'impression et qui est au cœur du braquage.

Compter l'argent dans une société de l'exploitation des opportunités (captures trouvées grâce à Google Image).

Les retours en arrière (flashbacks) permettent de découvrir la diversité des Coréens et de l'histoire récente de leurs deux pays, dans un Sud capitaliste libéral et les mauvais souvenirs et les espérances des migrants du Nord. Compter l'argent nouveau n'est que compter la monnaie précédente pour plusieurs des personnages secondaires abusant des futurs braqueurs.

Le Professeur n'a donc que peu de mal à trouver son équipe multi-tâches et aux motivations variées pour qui les quatre trillions de wons n'ont pas forcément la même signification.

Le billet de cent mille wons au cœur de l'intrigue (trouvé grâce à Google Image).

Le billet de cent mille wons, plus grosse coupure de la monnaie unifiée, est montré sous plusieurs formes : en grand sur un poster dans l'exposition, sous forme de feuilles en cours d'impression, sous la loupe de l'imprimeur-contrôleur, etc.

Sur son compte Twitter, le journaliste Shreyas Reddy, actuellement correspondant d'un média spécialisé dans la Corée du Nord, a analysé les trois billets créés dans la série télévisée, le vingt-quatre juin 2022.

Il rappelle ce que chaque livre d'histoire générale sur la péninsule de Corée apprend au lecteur : il y eut plusieurs royaumes médiévaux dans cet espace, unifié progressivement puis conquis par le Japon au début du vingtième siècle, et divisé sous d'autres logiques par la libération de 1945 et la Guerre froide. Cela entraîne donc une lecture de l'histoire médiévale et moderne différente selon le pays, y compris dans le nom du pays, le rôle historique des capitales, et, dans le détail, les habitudes et secteurs économiques privilégiés qui se sont inversés entre le nord et le sud après 1945-1953.

Comment les scénaristes et accessoiristes allaient-ils trouver les points communs pour les personnages choisis pour les billets de banque ?

Timbre sud-coréen du centenaire de la mort de Yu Gwansun, émis en 2020 (Korea Post via la Korea Stamp Society).

Pour le gros billet de cent mille wons, l'étudiante Yu Gwansun (1902-1920) qui participa au Mouvement du Premier-Mars en 1919 contre l'occupation japonaise ; arrêté alors, elle est libérée grâce à l'intervention de missionnaires. Pendant un mois, dans son village d'origine, elle mobilisa la population et fut arrêtée. Elle refusa d'admettre sa culpabilité, tenta au printemps 1920 d'organiser un soulèvement en prison, fut régulièrement torturée jusqu'à sa mort en septembre 1920.

Les timbres sud-coréen de 2010 : An Jung-geun et son groupe se coupèrent une phalangede leur annulaire gauche en 1909 et écrivirent « indépendance coréenne » de leur sang sur le drapeau du pays (Korea Post via le site d'information du ministère sud-coréen de la Culture).

Sur le billet de cinquante mille wons - orangé sur les images ci-dessus, est représenté An Jung-geun (1879-1910). Éduqué et converti au catholicisme, il refusa le traité de 1905 et participa au mouvement de 1907 pour rembourser le prêt japonais. En 1907, il rejoint à Vladivostok un groupe de résistance armée. Le 26 octobre 1909, il assassine plusieurs officiels japonais dont l'ancien premier ministre, premier Résident général en Corée et alors président du Conseil privé de l'empereur. 

Timbre sud-coréen de 2016 sur la standardisation du hangeul par Ju Si-gyeong (Korea Post via la base Colnect.com).

Le troisième personnage sur le billet de dix mille wons est le linguiste Ju Si-gyeong (1876-1914). Inspiré par la linguistique occidentale, il standardisa l'écriture et la grammaire du coréen. Il est le créateur du mot hangeul (한글) pour désigner l'écriture inventée au quinzième siècle par Sejong le Grand pour faciliter la diffusion de la connaissance dans le peuple. L'occupant japonais imposa la continuité de l'usage de l'écriture dite chinoise.

Des trois, Ju est né dans la future Corée du Nord etait protestant. L'origine sociale des trois est variée (respectivement rurale, ancienne, plus récente) et permet de lier les deux Corées dans leur unité face au traumatisme de la perte d'indépendance sous l'occupation japonaise.

L'actuel billet de dix mille wons depuis 2007 à l'effigie du roi Sejong le Grand (via la base documentaire Commons de Wikimedia).

Une des images ci-dessus - le comptage de billets - apparaît l'actuel billet sud-coréen de dix mille wons à l'effigie du roi Sejong (1418-1450), qui a inventé seul et en secret le hangeul, ce que les lettrés confucianistes et les puissants lui reprochèrent longtemps. Un souverain aux actions intéressantes pour montrer que la modernité du quinzième siècle n'est pas qu'européenne et pas que du quinzième siècle d'ailleurs.

Cela permet de découvrir à la lecture de l'article de la Wikipédia en anglais sur le won sud-coréen que les pièces de monnaie et les billets de banque représentent des personnages très anciens, pas les héros de l'indépendance comme dans la série ici évoquée.



Attention : divulgâchage / spoiler ahead.


Hasard de la géopolitique, la première saison se termine à Kherson, en Ukraine, objet d'une étrange carte postale au cours de l'intrigue.

Le Professeur tient particulièrement à cette carte postale dans la série (capture d'écran trouvée grâce à Google Image).

Étrange pour le personnage du Professeur... et aussi parce que Kherson dans la grande plaine ukrainienne ne doit pas ressembler à ce bourg à flanc de montagne forestière.

Tiens, comme Hallstatt en Autriche.

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