jeudi 25 février 2016

Monnaies en métaux précieux entre pirates, collectionneurs et l'État

D'un navire oublié, mais pas perdu...
Le mercredi trente septembre dernier, le tribunal correctionnel de Montpellier condamnait sept personnes - des pilleurs d'épaves et deux numismates - pour le pillage du navire de commerce suédois Jeanne-Elisabeth qui fit naufrage dans la nuit du quatorze au quinze novembre 1755 au large de l'île de Maguelone, à une dizaine de kilomètres au sud de la préfecture héraultaise.

Dans son supplément scientifique du mercredi dix février 2016 et prépublié le lundi huit février sur son site, Le Monde a fait une synthèse en deux articles de l'affaire policière et judiciaire, mais également du travail archéologique réalisé depuis 2007 et la découverte du délit, dont au moins un condamné est récidiviste. Le récit du procureur adjoint du Tribunal de grande instance de Montpellier est éloquent sur les pillages réalisés : jardin décoré d'amphores par exemple.

Le navire de commerce aurait pu avoir une vie tranquille sur sa route de Cadix à Marseille pour transporter du blé... si le contexte géopolitique de l'époque n'en avait fait un discret transporteur de fonds de trente deux mille piastres espagnoles en argent pour soutenir la France... alors que les tensions avec le Royaume-Uni vont aboutir quelques mois après à la Guerre de Sept Ans.

Un fort vent et le littoral sableux du Bas-Languedoc en décidèrent autrement : le navire s'échoue et coule, reposant sous une couche de sable protectrice, pas très profond, pas très loin du rivage, mais nécessitant volonté et matériel pour être sorti de là... L'appât du gain par exemple.

La consultation des archéologues du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASS) par Le Monde explique l'importance de l'épave : le bois très bien conservé sous le sable va permettre d'étudier comment était construit ce type de bateau au dix-huitième siècle, les autres objets la vie quotidienne à bord... Au-delà de maigres centaines de kilogrammes d'argent, vendus au poids par les condamnés.

... à beaucoup de navires perdus mais pas oubliés...
Un troisième article du dossier contextualisait cette affaire dans les problèmes des État européens face aux pilleurs d'épave ou même à la propriété des épaves explorées : l'Espagne vient de remporter un procès contre une compagnie états-unienne pour récupérer le contenu d'un navire espagnol coulé en 1804, et envisage désormais celui d'un autre navire disparu au large de la Colombie...

L'article concluait sur l'intérêt des États à mieux surveiller ces activités archéologiques pour lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment de revenus illégaux, sans compter le commerce clandestin de vestiges archéologiques dans les pays en guerre civile (en Syrie ?) : un achat de petites pièces anciennes en métaux précieux, voyageant avec la menue monnaie dans la poche et revendue dans le pays où le capital a besoin de se trouver.

... à l'État français qui n'oublierait rien.
Hélas, le dernier dispositif imposé par l'actuel gouvernement français pour surveiller ces transactions de métaux précieux heurte la CBG, à la fois commerce et association numismatiques, comme en témoigne Joël Cornu dans l'éditorial du Bulletin numismatique numéro cent cinquante et un daté mars 2016 (bientôt en ligne à cette adresse).

Depuis le décret 2015-1295 du quinze octobre 2015, toute transaction de métaux précieux subit la législation sur les contrats avec une période de rétractation de vingt-quatre heures au cours desquels ni le commerçant-acheteur, ni le consommateur-vendeur ne peuvent donc s'échanger la monnaie du premier contre les objets du second.

Vous lirez les formulations du décret : le gouvernement protège-t-il le consommateur que le professionnel est allé chercher à domicile, ou par l'intermédiaire d'une offre d'expertise par correspondance, etc. ? Ou, comme le craint la CBG, toutes les ventes volontaires de pièces et de billons (entendre les monnaies démonétisées) sont-elles concernées au grand dam du commerce...

... et de la fiscalité des particuliers : qui dit contrat dit liste des biens vendus, valeur d'échange, nom et adresse du vendeur... Contrôle fiscal ?

Difficile et incomprise reste la collection de monnaies et billets.

...

Au fait, et le commerce des timbres ?


Complément du jeudi six avril 2017 :
Sur le site de Ouest France, en date du vingt mars 2017, Nicolas Montard propose un reportage sur la restauration des pièces d'argent espagnoles retrouvées sur la Jeanne-Élisabeth par le Département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France.

L'étude après nettoyage confirme l'origine hispano-américaine du métal et des pièces frappées en 1754 et 1755 - pour un naufrage en novembre 1755 : frappe à Lima au Pérou, à Potosi en Bolivie - un premier article sur cette région monétaire pour les curieux - et à Mexico. Reste un travail d'historien à mener : le taux d'argent dans ces pièces est plus important que ce qui est connu à l'époque. Quel aurait dû être le devenir de ces pièces : refonte, usage pour quelle voie de commerce lointain ?

Surveiller les mises à jour du menu Conférences du site de la BNF : l'archéologue Marine Jaouen a expliqué cette enquête lors d'une conférence mardi dernier, le quatre avril.

Ensuite, direction le Musée de l'éphèbe à Agde, dans l'Hérault, où les découvertes de la Jeanne-Élisabeth seront exposées dans quelques années.

Complément du dimanche cinq septembre 2021.
Hier, samedi quatre septembre 2021, Carbone 14, l'émission consacré à l'archéologie de France Culture, revient sur la Jeanne-Élisabeth, ce navire naufragé de la côte languedocienne qui a fait les titres des faits divers par le pillage qu'il a subi. Après quelques années d'étude, le public peut désormais découvrir le navire, son histoire et le contenu qui a pu être étudié sur site, au Musée de l'Éphèbe et d'archéologie sous-marine d'Agde.

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