jeudi 23 juin 2016

Paris-Philex (5) : de l'exotisme hors les murs

« Paris-Philex hors les murs ».

Je rassure tout de suite les collectionneurs et spéculateurs de nouveautés hors-programme : n'écrivez pas à Timbropresse, ni à la Fédération. Inutile que leurs chefs aillent envahir de nouveau le bureau de Gil@poste Livchitz, ni que Socrate et Gauthier Toulemonde nous répandent des pages entières sur leur rôle intermittent de défenseurs du collectionneur de nouveautés, comme dans le numéro de ce juin 2016 : c'est quoi ce trou d'actions de 2007 à 2015 pendant l'application délétère des états eslingériens de la φl@télie ?

Dans ce « hors les murs », aucune action secrète de Gil@poste pour émettre des timbres spéculatifs ou des entiers en douce en avertissant uniquement quelques happy fews franciliens.
La façade du palais de la porte Dorée par Alfred Janniot - 1929-1931 - en hommage à un empire exploité que nous fantasmions « libre » et en « paix », selon les grands principes entourant l'allégorie centrale (photographie sous licence Creative Commons cc by-nc-nd 3.0 fr - rappel : Janniot est mort en 1969).
« Paris-Philex hors les murs » est ma façon de profiter de trois jours parisiens - alléluia, une marée basse professionnelle, dommage qu'elle fut haute pour Monacophil 2015 - entre philatélie et découverte de Paris.

Car il suffisait de prendre le tramway devant le parc des expositions de la porte de Versailles, siège de l'exposition philatélique nationale pour rallier la porte Dorée et une scénographie colonialiste évoquant l'époque de naissance d'une grande partie des visiteurs de Paris-Philex et du volailler φl@postal.

Le monument ouvrant la zone honore les anciens combattants d'Indochine, fontaine-rivière minérale entouré de pelouse et de palmiers par l'architecte Louis Madeline, provenant d'une statue d'Athéna par Louis-Ernest Drivier. Il est suivi d'un bas-relief de l'expédition de 1898 du colonel Marchand du Congo à Djibouti, via un arrêt dangereusement imprévu à Fachoda, sur lequel tous les officiers français sont nommés et les tirailleurs sénégalais évoqués par leur nombre...

Face à cela, le palais-musée-aquarium de la porte Dorée et sa façade exploitons les richesses des colonies... Nous savons depuis 2005 qu'il n'est toujours pas possible de faire l'histoire de l'empire colonial français par les historiens, de montrer comment l'empire raciste bénévole de Jules Ferry est devenu un empire raciste et parasite, oublieux des valeurs de la République. Que dans les colonies le bon est mêlé au mal dans la manière dont la France, les colons et les métropolitains ont géré ces territoires et ces peuples.

Tant de débats historiens et de réflexions invisibles quand sont évoqués les timbres créés pour les colonies.
Carte postale utilisée en 1907 : des bûcherons immigrés belges et leur... hutte... (collection Musée de l'histoire de l'immigration, Paris).
Quelle ironie d'y avoir installé le Musée de l'histoire de l'immigration depuis 2007, avec dans les premières pièces une carte postale du début du vingtième siècle, dans une mise en scène digne d'un timbre colonial de l'indigène exploitant l'hévéa grâce au Français civilisateur : une équipe de bûcherons belges œuvrant dans la forêt de Marchenoir, en Loir-et-Cher où la carte fut postée avec une Semeuse en 1907.

Le détail qui montre que le point de vue français est autant un problème que les migrants : « et leur hutte »... Habitat temporaire pour une taille d'accord, mais rudesse du confort : une cause du refus des bons Français de réaliser ce travail ?
Cartes postales (!) françaises sur l'expulsion de « romanichels » par les gendarmes, vers 1900 (collection Musée de l'histoire de l'immigration, Paris).
Une exposition temporaires sur les frontières sur deux siècles, « sur les limites et leurs limites », se tient juqu'au dimanche trois juillet prochain.

Pour le sens des frontières françaises au début du vingtième siècle, un lot de cinq cartes postales est présenté : des photographies prises, clairement mises en scène, imprimées, vendues, utilisées sur un sujet qui provoquerait un scandale médiatique aujourd'hui, quoique vu le débat britannique sur les frontières (exemple par UKIP)...

... des photographies d'opérations de gendarmerie expulsant des « Romanichels » du territoire, voire sur une autre carte « Nos campagnes. Voyageurs indésirables »... Pfiou.

Illustrées ci-dessous, deux affranchies sur l'image.

À gauche, une carte française mais avec une légende sommairement traduite en allemand. Sur la route entre Arracourt (Meurthe-et-Moselle) et Vic-sur-Seille (Moselle), au poste-frontière, une ligne bien rangée de gendarmes soldats allemands - et d'habitants endimanchés - posent barrant le chemin à des « romanichels serbes » qui posent avec leurs ours, après leur expulsion par les gendarmes français. Le montreur d'ours pyrénéen contre la loi de séparation des Églises et de l'État a été plus populaire...

La carte est utilisée côté allemand à « Vic (Seille) » le vingt-cinq mars 1916. L'oblitération sur timbre allemand m'étonne car elle conserve le nom français de la commune, allemande depuis l'annexion de l'Alsace-Lorraine, régions qui appraît beaucoup dans le premier tiers de l'exposition Frontières.

La carte de droite est encore plus révoltante. Les gendarmes posent avec les riverains lors d'une expulsion de « Bohêmiens », enfants bien placés dont le bébé voit sa joue pincer affectueusement par l'officier...
Barthélémy Toguo ( exposition temporaire FrontièreMusée de l'histoire de l'immigration, Paris).
Coincés entre les postes-frontières est le message que je retiens de nombreux documents et œuvres d'art de cette exposition. L'artiste camerounais Barthélémy Toguo résume cette situation humaine en 2010 : des sculptures en bois représentent des êtres humains tandis que le dessous est gravé comme des tampons douaniers, dont un porte un prénom.

Envie de jouer le douanier comme sur ces cartes postales : testez ce jeu vidéo.
Philatélie fiscale : un visa temporaire de réfugié célèbre (France) en haut et un passeport soviétique de1935 en bas ( collection Musée de l'histoire de l'immigration, Paris).
À entrer ainsi dans les vies individuelles, l'exposition temporaire, comme l'exposition permanente, oblige le visiteur à se souvenir que les migrants sont des êtres humains au-delà des timbres fiscaux, visas et passeports présentés.

Si la collection de photographies de « voitures-cathédrales » des travailleurs immigrés retournant en vacances au Maghreb avec des achats pour toute la famille étendue provoquera à coup sûr des blagues racistes - et peut-être un gentil rappel à la sécurité routière, le retour sur terre a lieu peu après avec la carte temporaire de séjour de janvier 1962 avec timbre fiscal de cinq francs - photographie retirée - au nom du réfugié soviétique :
Conférence de presse aux Champs-Élysées six jours après sa demande d'asile à la France (SIPA / initialement Paris-Jour).

« Saleté de réfugiés, refoulons-les », « S'ils restaient pour combattre, ils sauveraient leur pays », etc., etc. Entre un président fils d'exilé hongrois et un premier ministre né espagnol d'un couple espagnol et italien...
Document de voyage visé à l'ambassade britannique de Paris en 1949.
Bref, ce musée est une œuvre de salut public pour éclairer bien des débats avec le recul de l'histoire, tout en œillades à destination des philatélistes postaux autant que fiscaux. Quelques dernières pièces que vous pouvez découvrir dans leur contexte individuel au musée de la porte Dorée.

Visa portant trois timbres fiscaux consulaires britanniques à l'effigie du Roi George VI pour seize shillings, déjà une belle dépense en septembre 1949, oblitérés à l'ambassade du Royaume-Uni à Paris.
Timbre fiscal belge sur un coin d'une affiche de cinéma de l'exposition temporaire Frontières (Musée de l'histoire de l'immigration, Paris, 2016).
Une partie de l'exposition temporaire est également consacrée au travail des douaniers, notamment leur matériel au fil des décennies - ce qui me rappelle l'exposition sur les douanes britanniques (Seized - Saisi) au Musée maritime du Merseyside de Liverpool : un grand musée qui rassemble de nombreux aspects du voyage maritime depuis le Titanic à la traite atlantique, en passant par la marine marchande, les peintures marines et l'exploitation humaine de nos jours.

Aspect culturel de ce métier avec l'affiche du film franco-italien La loi c'est la loi de Christian-Jacque avec les comédiens Fernandel et Totò, de 1958 - en pleine genèse du Marché commun européen.

Dans le coin inférieur droit, le philatéliste remarque un timbre fiscal belge oblitéré le vingt-cinq mai 1961... Une taxe sur l'affichage public ?
Facture italienne pour un accordéon commandé en France (Collection Musée de l'histoire de l'immigration, Paris).
Dans la collection générale, une galerie rappelle tout ce que les immigrés ont apporté à la culture française depuis Offenbach... Un immigré célèbre encore.

Une facture y est présentée pour la commande d'un accordéon (ou un harmonica, mes souvenirs musicaux sont vagues comparés à la philatélie) avec dans le coin un timbre fiscal italien d'une lire oblitéré le huit mars 1932, et donc conservé par la famille pour finir au musée. La fenêtre d'exposition évoquant la vie des immigrés arrivant en France avec quelques talents musicaux.

Un samedi matin enrichissant culturellement, politiquement et... philatéliquement.


Notes de l'après-midi :
Il suffit d'un tour en ville après avoir écrit pour enrichir un article déjà rassasiant.

Ainsi, actuellement dans les salles, l'histoire d'un jeune médecin zaïrois, seul volontaire pour s'installer avec sa famille à Marly-Gomont, dans l'Aisne, dans les années soixante-dix. D'après la jeunesse de l'humoriste Kamini qu'il avait évoquée dans un rap.

Bande-annonce de Bienvenue à Marly-Gomont (youTube).

Années soixante-dix oblige, le bureau des PTT et le courrier jouent de petits rôles secondaires dans l'intrigue.

À la librairie, dans ce thème, on peut toujours encourager à lire les essais de Gaston Kelman, né Camerounais, mais qui n'aime pas le manioc, comme le rappelle le titre d'un ouvrage de 2003 où il démonte les idées reçues sur les personnes noires. Pour les plus jeunes, Niourk, le roman de Stefan Wul ou sa récente adaptation en bande dessinée par Olivier Vatine.

Bande-annonce de l'exposition Déluge (Ville de Montpellier via youTube).
Une fois n'est absolument pas coutume, j'ai parlé d'art contemporain avec Barthélémy Toguo. Une exposition de l'artiste a lieu à Montpellier depuis hier ! D'hier mercredi vingt-deux juin au six novembre prochain, Toguo a créé une exposition inédite sur le thème du Déluge, au Carré Sainte-Anne, au cœur du centre historique (et gratuite).

Mon vendredi après-midi est prêt.

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