mercredi 9 novembre 2016

Massive démonétisation surprise en Inde

Et la surprise vint, non de l'élection présidentielle états-unienne - après le référendum britannique de juin... -, mais de l'Inde : en un message à vingt heures locales hier mardi, le Premier Ministre Narendra Modi a annoncé la démonétisation des vingt-quatre milliards de billets de cinq cents et de mille roupies, mercredi neuf novembre 2016 minuit, quelques heures après.
Spécimen du billet de mille roupies de 2000, démonétisé aujourd'hui (Reserve Bank of India via la Wikipedia en anglais).
Le but affirmé est la lutte contre la corruption, les revenus issus d'activités illégales et l'épuration des faux billets.

En pratique, les multiples communiqués de la Reserve Bank of India, la banque centrale, confirment cela et permettent de déduire d'autres objectifs dans cette économie émergente.

Aujourd'hui, aucune banque n'était ouverte dans le pays afin de préparer la récupération des anciens billets et la diffusion des nouvelles coupures de cinq cents et deux milles roupies à partir de demain jeudi. Les bureaux de poste participeront également à cette tâche.

Les banques sont invitées à ouvrir samedi et dimanche pour continuer ce travail et rassurer des Indiens et des touristes inquiets de manquer de liquidités - quatre-vingt-dix pour cent des transactions -, d'après les dépêches d'agence résumées par Le Figaro.
Finie la Marche du sel avec la disparition du billet de cinq cents roupies de 2000, grand moment de l'épopée anticoloniale de Gandhi de 1930 (Reserve Bank of India via la Wikipedia en anglais).
Les conditions de reprise indiquent un plafond actuel de quatre mille roupies échangeables contre de nouveaux billets et présentation d'une pièce d'identité, jusqu'au vingt-quatre novembre. Par contre, la limite de dix mille roupies par jour et vingt mille par semaine est temporaire pour les dépôts de ces billets sur un compte bancaire, qui pourront être réalisés jusqu'au trente décembre.

Repérer les gros dépositaires, s'interroger sur leurs sources de revenus et préparer des enquêtes sûrement. Et au-delà rendre visible et formelle une partie de la masse monétaire des entreprises et particuliers indiens, et donc mesurable, taxable et valorisable par des produits d'épargne ou des investissements que les banques pourront proposer ?
Le nouveau billet de deux mille roupies, mis en circulation à partir de demain jeudi dix (Reserve Bank of India).
Les deux nouvelles dénominations reprennent le portrait de Gandhi sur l'avers, placé désormais au centre et tourné vers la droite. De l'autre côté, le billet de cinq cents est historique avec le Fort rouge de Delhi, palais des empereurs moghols du dix-septième au milieu du dix-neuvième siècle.

Plus moderne, le deux mille roupies célèbre l'aventure spatiale indienne avec la sonde Mangalayan, permettant au pays, en 2014, de devenir la quatrième puissance à atteindre la planète Mars.

Les membres de StampBoards.com évoquent des épisodes précédents dans ce même but anti-criminalité : le Sri Lanka en 1974, l'Inde elle-même en 1978, la brutale réforme monétaire de Valentin Pavlov en Union soviétique en janvier 1991 pour tenter de juguler l'inflation (Pavlov accusait, à raison semble-t-il, des entrées de billets depuis l'étranger) et accompagner une légère libéralisation des prix.

Sur le site du Times of India jeudi dix novembre :
Dans le suivi en direct de la « crise », tous les moyens sont bons pour se débarrasser des billets démonétisés, pour ceux qui ont plus que ce que les banques peuvent accepter ou s'ils n'ont pu affronter les longues files d'attente d'aujourd'hui. Le Métro de Delhi constate une augmentation du nombre de recharges en espèces avec les deux coupures des cartes électroniques de son réseau, tandis que les distributeurs d'énergie vont accepter les paiements ainsi jusqu'à demain.

La Direction générale de l'aviation civile indienne a demandé aux compagnies aériennes de ne vendre que des tickets non remboursables en cas de paiement avec des billets de banque démonétisés mercredi (réserver puis annuler serait la stratégie malgré la pénalité d'annulation).

Sur le plan policier, des bijoutiers et des hawalas (sorte de banquiers/agents de change informels) céderaient leurs billets démonétisés à perte. Des milliers de policiers et d'agents des forces para-militaires vont assurer la sécurité des banques pendant les opérations de récupération des anciens billets. Et le fisc indien aurait lancé des opérations de contrôle dans plusieurs grandes villes.

Les partis d'opposition accusent le gouvernement du Parti du peuple indien (BJP) de plonger le pays dans le chaos, de mettre en difficulté les petites gens qui n'auraient pas assez de monnaie pour tenir jusqu'à accéder aux banques prises d'assaut. L'un demande le report de la mesure de quelques jours, un autre fait appel à la Cour suprême.

Sinon, les Indiens célèbrent leurs premiers billets de deux mille roupies par des selfies.

Et le jour d'après vendredi onze :
Finalement, les Indiens pourront utiliser les deux coupures démonétisées jusqu'à lundi quatorze pour payer les factures essentielles et leurs impôts et taxes, ainsi que les dépenses médicales et de transport (depuis les abonnements jusqu'au péage routier).

Un premier bilan des perquisitions des services fiscaux est donné par le Times of India, notamment des stocks colossaux d'or non déclarés chez les bijoutiers et les hawalas dans vingt-cinq villes. Les différentes méthodes employées par certains s'épuisent face au renoncement des commerçants et des entreprises, notamment les organisateurs de mariage, face à la peur du zèle fiscal : la demande d'amnistie avec amende pourrait devenir une idée plaisante.

Néanmoins, la situation reste tendue pour la majorité des Indiens avec des files interminables et des premiers décès : deux personnes âgées exténuées par l'attente.

Et samedi douze :
Remplis de coupures plus petites et devant contenter des demandes nombreuses, les distributeurs de billets indiens se vident rapidement et exaspèrent des foules de plus en plus impatientes. La banque centrale annonce qu'elle disposait de stocks préalables suffisants et dispersés dans le pays et que ses presses tournent à plein régime.

Le gouvernement et elle conseillent les paiements par carte bancaire et continuent à adapter ses mesures initiales : les gros dépôts des femmes au foyer et des paysans ne seront finalement pas signalés au fisc, les retraités pourront retirer une somme plus importante au comptoir des banques.

À Delhi ce soir, cependant, le Times of India signale que la police a reçu quelques milliers d'appels pour des violences autour des banques et des distributeurs. La foule perd patience alors que les banques ouvraient exceptionnellement ce week-end : en manque de billets de cent roupies et faute de mille roupies démonétisés, certaines ne distribuent aux clients que la nouvelle grosse division de deux mille... Dont la dimension allongée va demander plusieurs semaines pour recalibrer tous les automates du pays.

Côté politiciens, ça s'agite aussi. Ceux comme Mamata Banerjee qui accusent le gouvernement de déranger les classes modestes et moyennes, ainsi que les petits commerçants, alors que les revenus clandestins massifs sont l'objet d'autres groupes et les sommes les plus importantes passeraient plutôt par les canaux électroniques (et seraient à l'étranger). Ceux qui s'interrogent sur l'honnêteté du Premier Ministre et de ses amis : Arvind Kejriwal accuse le gouvernement d'avoir diffusé la nouvelle en avance à quelques initiés qui ont pu déposer en banque leur stock de billets.

Point positif de tout cela : la vente d'alcool a baisé au Kerala d'après les taxe acquittées par les débitants de boissons.

Dimanche treize, deuxième jour d'ouverture exceptionelle des banques :
Côté gouvernement, le discours s'est voulu offensif contre la corruption, la lutte contre les activités illégales, et, à mots couverts, contre les ennemis de l'Inde qui imprimeraient plus de faux billets indiens que de billets de leur propre devise.

Et rassurant sur le fait que la majorité des Indiens est certes brusquée par la mesure dans son quotidien, mais que tout cela n'aura aucune incidence financière pour elle : le Premier Ministre a promis que les fermiers forcés de déposer leurs économies sur un compte en banque ne seront pas taxés.

Sur la question des ruraux, l'État de l'Arunachal Pradesh assiste les banques pour l'ouverture de comptes d'une population qui n'en avait jusqu'ici par usage. Mais, lundi, The Times of India rappelle que ces problèmes de liquidités surviennent en pleine période des semences : les acheter avec quels billets ?

Suite à une réunion d'urgence dimanche soir, les paiements spécifiques en billets démonétisées (factures d'énergie, transports en commun,...) sont prolongés de dix jours tout de même.

Selon les villes et régions, des commerces ont du mal à fonctionner, faute de liquidités des grossistes, tels les marchands de fruits et légumes à Delhi. Comme les jours précédents, les journalistes et les réseaux sociaux présentent des files d'attente devant banques et distributeurs (dès trois heures du matin ce lundi à Delhi) et des personnes désespérées vendant à perte leurs billets démonétisées sur les marchés de vieilles monnaies.

Lundi quatorze : le Premier Ministre a demandé la confiance du peuple jusqu'au premier janvier... et les nouveaux billets de cinq cents roupies arrivent enfin dans les banques.
Enfin celles ouvertes puisqu'une partie d'entre elles sont fermées aujourd'hui lundi.

Les professions directement liées à cette transition s'expriment : chauffeurs des camions sécurisés sans repos depuis quatre jours, forces de l'ordre de même tandis que les fonctionnaires du fisc sont dubitatifs face à l'annonce d'une sanction de 200% faite par un ministre si les dépôts bancaires actuels dépassaient la déclaration de revenus du contribuables... alors qu'il pourra toujours déclarer un revenu exceptionnel volontairement l'année prochaine...

Les ajustements calendaires dépassent l'échange de billets : les retraités pensionnés ont finalement jusqu'au quinze janvier pour déposer leur certificat prouvant qu'ils sont encore en vie. Des files spéciales pour les personnes âgées ont été demandées par le gouvernement aux banques, qui a ajouté une doléance : les frais sur les retraits aux distributeurs seront gratuits du dix passé jusqu'au trente décembre.

Voire des adjustement stratégiques : face au manque de billets acceptés dans les stations services et les péages du pays, ces derniers sont levés jusqu'au vendredi dix-huit minuit, même si les routiers restent encore en difficulté. De même, les parkings des aéroports seront gratuits jusqu'au lundi vingt-et-un. Cela n'arrangera pas les livreurs et les applications mobiles qui leur trouvent les clients. Payés lors de la livraison : quant les clients manquent de billets de banque, ils commandent moins...

Néanmoins, côté lutte contre la corruption, enfin une seconde touche (après les potentiels stocks d'or clandestins des bijoutiers) : des politiciens et potentats locaux essaient de forcer leurs banquiers d'accepter leurs masses de billets démonétisées en dehors du circuit normal, via le Jan Dhan par exemple. Créé par le Premier Ministre Modi en 2014, c'est un système permettant le développement des activités bancaires de la majorité des Indiens éloignés jusque là de la question.

Voire d'autres si la police retrouve les donateurs de plus de quatre millions de roupies en anciens billets au temple du Tamil Nadu et de plusieurs sacs de billets dans un égoût dans l'Assam... De mauvaises consciences ? Ou la panique d'une population ne comprenant pas la situation (lire l'article des Échos de ce matin) ou n'ayant pas les moyens en temps et en moyens bancaires pour l'affronter ?

Côté « ennemis du pays », la police du Jharkhand a arrêté un entrepreneur qui transportait, jeudi, une grosse somme en billets démonétisés. Il a avoué qu'elle lui a été confiée par un groupe maoïste interdit. Ce groupe se finance en extorquant les commerçants locaux. Au Cachemire, les jets de pierre contre les soldats ont cessé depuis mardi soir, affirme le ministre de la Défense...

Dans les solutions proposées - au milieu des attaques contre le Premier Ministre, le gouvernement du Kerala a demandé au ministre fédéral des Finances que le Trésor public de l'État fédéré et les coopératives reçoivent temporairement le statut de banque pour aider à l'échange des billets.

La suite : par ici.

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