lundi 21 novembre 2016

Troisième semaine des conséquences de la démonétisation en Inde

Depuis l'annonce de la démonétisation des billets de cinq cents et mille roupies, mercredi huit novembre à minuit, le gouvernement de Narendra Modi continue à gérer la récupération des anciennes coupures de cinq cents et mille roupies et l'arrivée des nouvelles de cinq cents et deux mille par les banques, tout en encourageant l'usage des moyens numériques de paiement.

Avec une dose d'improvisation, les files se sont un peu réduites devant les banques et les distributeurs de billets (dont le radicale marquage de l'index à l'encre indélébile pour limiter à un seul échange d'ici le trente décembre). Avec l'aide des compagnies pétrolières et des banques, quelques milliers de stations-service vont permettre de retirer de l'argent.

Cependant, la Banque centrale a du mal à imprimer ces masses incroyables de nouveaux billets. Les agriculteurs sont déboussolés alors qu'il faut acheter les semences. Les dirigeants des États fédérés ruraux se sentent ignorés par l'État central. Les partis d'opposition et, désormais, les juges de la Cour suprême critiquent la manière brutale à leurs yeux de faire du gouvernement.

Enfin, pour terminer cette introduction, cette semaine devrait prendre fin, jeudi, la possibilité d'utiliser les billets démonétisés pour payer les factures d'énergie, recharger les cartes de transports en commun et régler les soins hospitaliers.

Une seule source faute de temps : le suivi en direct par The Times of India, de Delhi.

Lundi vingt-et-un novembre : on adapte, on s'adapte.
Ce matin, The Times of India a pu interroger des sources gouvernementales : tous les moyens de transport sont employés, y compris les avions et hélicoptères militaires, pour amener les nouveaux billets à peine imprimés dans tout le pays. Cette semaine, la distribution ciblera davantage les régions rurales. En termes macroéconomiques, deux espoirs : que le retour des billets soient conséquents pour améliorer la comptabilité de la Banque centrale et que l'approvisionnement inédit des comptes bancaires des particuliers et des entreprises permettra aux banques de prêter plus facilement.

Sinon, pendant que Rahul Gandhi du Congrès et Mamata Banerjee du Bengale-Occidental restent sur le pied de guerre jour après jour - en une tournée du pays pour la seconde et insistant sur l'improvisation quotidienne du gouvernement -, le gouvernement et la Banque centrale continuent à adapter la démonétisation le temps que se diffuse les nouveaux billets et l'usage des autres moyens de paiement.

Enfin !, souffleront les gouvernements fédérés : des commissions de hauts fonctionnaires vont accomplir un tour des États et Territoires, à raison de deux jours chacun, pour vérifier le déroulement des opérations. Justement, les agriculteurs pourront acheter des semences avec d'anciens billets de cinq cents roupies à des points de vente du gouvernement central ou de l'État fédéré.

La Banque centrale a - enfin - donné les règles de retrait de deux cents cinquante mille roupies pour l'organisation d'un mariage et elles sont strictes : mariage avant le trente décembre et selon ce qui était sur le compte bancaire au huit novembre...

Pour faire souffler les emprunteurs manquant de liquidités ayant cours légal, le remboursement des emprunts dus entre le premier novembre et le trente-et-un décembre est possible jusqu'à soixante jours de retard sans pénalité. Les emprunts doivent concerner des achats de moyens de production, d'un logement ou d'une voiture.
Les chiffres en devenagari se trouvent à gauche de l'effigie de Gandhi, et en haut à droite de la sonde d'exploration spatiale sur l'autre face (Reserve Bank of India via la Wikipedia en anglais).
Côté justice (ou farce), à Madurai au Madras, la Haute Cour locale demande son argumentation au ministre fédéral des Finances dans une plainte qui accuse le nouveau billet de deux mille roupies d'être anticonstitutionnel ! En effet, le nombre est inscrit en devanagari, format que la Constitution actuelle interdit.

Mardi vingt-deux novembre : « le nouveau normal » en place ?
Les partis d'opposition dans les deux chambres du Parlement indien réclament que le Premier Ministre viennent répondre à leurs questions sur la démonétisation - Rahul Gandhi remarquant qu'il parle bien pendant un concert pop -, tandis que la Cour suprême a suspendu ses audiences sur le sujet jusqu'au jeudi huit décembre.

Ambiance politicienne tendue donc. Le Ministre-en-chef Adjoint du Territoire-Capitale Manish Sisodia a été interpellé par la police lors d'une manifestation dans le quartier du parlement.

L'intéressé, Narendra Modi, lance une application qui permet aux Indiens de lui donner directement leur opinion sur la démonétisation et le sujet lié de la lutte contre « l'argent noir ». Un sondage professionnel de C-Voter signale un large soutien de l'ensemble de la population (autour de quatre-vingts pour cent) à la démonétisation, même si les ruraux sont les moins convaincus par la manière de procéder depuis deux semaines.

Quarante pour cents des distributeurs automatiques de billets ont été recalibrés pour les deux nouvelles coupures, avec la Banque centrale insistant que l'opération est réalisée de manière équitable entre les États, et sans négliger les campagnes, régions désormais l'objet de toute l'attention gouvernementale.

Dans les facilités temporaires face au manque de liquide des particuliers, la gratuité des parkings d'aéroport est relancé jusqu'au vingt-huit. De demain mercredi jusqu'au trente-et-un décembre, le gouvernement suspend une taxe sur les billets de train réservés en ligne et payés par carte.

Mercredi vingt-trois novembre : de nouveaux projets, même si...
Le gouvernement a fait plusieurs annonces sur l'après-démonétisation : la numérisation de la banque et des paiements en Inde. Ainsi, le ministère des transports demande aux constructeurs d'implanter une puce d'identification sur les nouveaux véhicules pour permettre le paiement à distance des péages autoroutiers. Les transactions financières effectuées depuis un téléphone (par sms ?) et l'usage d'une carte de débit sont rendus gratuites jusqu'au trente-et-un décembre.

Sur un plan macro-économique, l'une des principales banques du pays, la State Bank of India, a annoncé une baisse des taux de rémunération des grands comptes à partir de jeudi : l'objectif est que les masses monétaires désormais déposées dans les banques soient prétées pour animer l'activité, avait annoncé le Premier Ministre dans un discours dimanche.

Côté micro-économique et bricolages, le ministère des finances rappelle que les billets démonétisés ne peuvent être déposés sur les comptes de petite épargne, sauf le compte d'épargne postal. En-fin, les banques coopératives des États vont disposer de nouveaux billets en quantités pour fournir les populations rurales.

Dernière bonne nouvelle : quarante-sept municipalités ont engrangé des revenus fiscaux incroyables en ce mois de novembre, de presque quatre fois les revenus de novembre 2015 pour Mumbai à vingt-six fois pour Hyderabad !!! Apparemment, les contribuables se sont pressés d'acquitter l'ensemble de leurs dûs avec les billets démonétisés.

Cependant, malgré un plébiscite d'un demi-million de participants sur son application-sondage, quelques nuages perdurent sur l'action du Premier Ministre, outre les files d'attente moins longues, il est vrai, et l'agitation régionale des partis d'opposition. En Uttar Pradesh, des ouvriers payés à la journée perdent leur travail dans les secteurs manufacturiers (chaussures, verre, etc.), leurs employeurs ne disposant pas d'accès de liquidités pour les payer. Ceci se doublant d'une baisse de la demande nationale depuis la démonétisation.

Côté légalité, Manish Tiwari du Parti du Congrès affirme que l'émission du billet de deux mille roupies aurait dû être précédée d'une modification de la loi sur la Banque centrale. Et la Cour suprême a réitéré sa décision du dix-huit de laisser les Hautes Cours régionales recevoir les plaintes contre les conséquences de la démonétisation bien que le gouvernement a signalé une amélioration de la situation.

Les partis d'opposition appelle à une mobilisation nationale contre la démonétisation à partir du lundi vingt-huit novembre.

Jeudi vingt-quatre novembre : La deuxième démonétisation de la démonétisation ?
Le gouvernement indien a annoncé des mesures renforçant l'obsolescence des billets de cinq cents et mille roupies et donnant mission aux banques d'encourager le passage aux moyens de paiement dématérialisés.

La principale mesure débute cette nuit à minuit : les anciens billets ne pourront plus être échangés aux comptoirs des banques, mais uniquement déposés sur des comptes en banque. Deux motivations : la fin constatée des files d'attente (droit à un seul échange d'ici le trente décembre aussi...) et encourager les Indiens à utiliser leurs comptes ou à en ouvrir s'ils n'en ont pas. Par contre, les guichets de la banque centrale continueront à échanger les anciens billets.

Les possibilités d'utiliser les anciens billets sont étendues jusqu'au quinze décembre (elles se terminaient aujourd'hui), mais drastiquement limitées : les factures domestiques d'eau et d'électricité, une partie des frais des écoles et universités publiques, recharges de téléphone mobile, achats dans une coopérative de consommation et péages routiers peuvent désormais être payées avec les seuls billets de cinq cents.

Enfin, les citoyens étrangers obtiennent le droit de changer leurs devises jusqu'à cinq mille roupies par semaine - avec une mention de l'échange dans leur passeport.

Les grandes banques commerciales sont inventives : après les stations-service samedi dernier, State Bank of India a implémenté la possibilité de retirer des espèces depuis les terminaux de paiement des hypermarchés Big Bazaar.

Les célébrités avaient tendance à soutenir la manœuvre dans la ligne de la lutte contre l'argent sale. Mais, aujourd'hui, Ratan Tata, directeur du groupe Tata, a publié un communiqué appelant le gouvernement à mettre en place des mesures d'urgence pour s'assurer que les plus modestes puissent continuer à accéder aux soins et aux moyens de subsistance tant que les billets manqueront.

Le Parti du Congrès va faire campagne contre la démonétisation pour les élections législatives de l'Uttar Pradesh qui devraient avoir lieu début 2017.

Du côté des voisins, la Nepal Rastra Bank, la banque centrale népalaise, a interdit l'usage des nouveaux billets des cinq cents et deux mille roupies car l'Inde n'a pas communiqué leur émission selon la loi indienne de 1999 sur les changes avec l'étranger. Néanmoins, les banques centrales des deux États et celle du Bhoutan sont en contact sur comment récupérer les billets démonétisés en possession des habitants deux pays himalayens.

Vendredi vingt-cinq novembre : les fins de mois approchent, les problèmes futurs aussi.
Les points où retirer des billets en Inde se multiplient avec désormais les magasins V-Mart Retail qui permet à ses clients de retirer deux mille roupies par carte bancaire. Le ministre des Finances a garanti que chaque village bénéficie du système de retrait mobile : un personnel bancaire et un terminal de paiement bancaire permet de retirer des billets.

Néanmoins, les urbains regrettent le plafond hebdomadaire de retrait et le manque de billets de cinq cents (qui arrivent très lentement). En fin de mois, de nombreuses familles payent leur personnel et règlent leurs achats alimentaires mensuels...

Sans parler des travailleurs payés chaque jour et plus payés ou plus employés, faute de numéraires et de billets suffisants dans les mains de leurs employeurs. La dématérialisation des salaires et des paiements n'est pas pour demain samedi malgré l'envie du ministre des Finances.

Et encore moins des campagnes : au Madhya Pradesh, de nombreuses banques et coopératives bancaires en zone rurale manquent de billets depuis deux jours ! Les journalistes de The Times of India ont enfin fini de couvrir la démonétisation en ville et se tournent vers les campagnes. À se demander si les agriculteurs ont pu acheter leurs semences et payer l'assurance publique sur les récoltes... Réponse dans un an ?

Bref, les banques admettent qu'elles ne délivrent chaque jour aux particuliers et aux entreprises que moins d'un quart de leurs besoins quotidiens dans les métropoles, et bien moins en dehors.
Comparaison entre la version normale (en haut) et le tirage défectueux (en bas) par la chaîne d'information continue Times Now.
Un problème billetophile : il y a deux versions du nouveau billet de cinq cents roupies, toutes deux légales si le billet comprend tous les signes de sécurité, annonce la banque centrale. Que vont en penser collectionneurs et spéculateurs ? Le tirage erroné montre un décalage vers la gauche d'une partie de l'impression. Et cela risque de faire réussir de prochains faux billets ou de faire échec à l'usage du nouveau billet, car le public aura toujours un doute sur les versions possibles du billet.

Dans le débat politique, des questions sans réponse avant quelques mois : la croissance du produit intérieur brut va-t-il souffrir de la démonétisation ? Oui d'après la Deutsche Bank. Le Premier Ministre et son parti vont-ils perdre en popularité à cause des difficultés créées au quotidien, notamment lors des élections législatives fédérées et de la présidentielle fédérale prévues en 2017 ?

Plus concrètement, le gouvernement propose une taxation de soixante pour cent pour ceux qui déclareront volontairement leurs fonds non déclarés constitués de billets démonétisés (33.9% est le taux de taxation des revenus les plus élevés), dont une partie pour un fond du Premier Ministre de lutte contre la pauvreté.

Quant à la mobilisation du lundi vingt-huit novembre : dix-huit partis de gauche et alliés appellent à une grève de douze heures.

Samedi vingt-six novembre : 
Cirque politique autour de la Reserve Bank of India. D'un côté, le ministre de la justice et des technologies de l'information rappelle que c'est la RBI qui a conseillé la démonétisation des deux coupures, après une année de préparation : fin de la double exemption fiscale avec Chypre et Maurice, puis encouragement à dénoncer l'argent illégal. De l'autre, le porte-parole du Parti du Congrès qui accuse le gouverneur de la banque soit d'avoir menti en disant être prêt pour la démonétisation, soit d'avoir abandonné son autonomie au gouvernement.

Deux articles du Times of India sur l'État du Meghalaya, dans l'Est et au nord-est de la frontière avec le Bangladesh. Les forces de l'ordre constate un grand calme chez les groupes criminels ou paramilitaires depuis le début du mois : plus d'enlèvements ou de racket des commerçants ou des agriculteurs. Les criminels sont trop préoccupés par tenter de blanchir leur stock de vieux billets et les prisons se remplissent de « mules » et de sympathisants. Et aucune saisie de faux billets n'a été réalisée depuis le neuf novembre, en provenance du Bangladesh.

Question personnelle : si le parti au pouvoir affirme que ce programme d'action (démonétiser, surveiller les dépôts, etc) est un nettoyage inédit de l'économie indienne en soixante-dix ans, combien de temps un pays, ses fonctionnaires et son économie tiendront-ils ce flicage et cette modernisation à marche forcée vers la situation actuelle des clients des banques occidentales ? Ou le pli sera-t-il durablement pris ?

Dimanche vingt-sept novembre : discours et contre-discours.
Une journée politicienne en Inde où les réponses ont succédé aux discours à la veille d'actions des partis d'opposition demain lundi. Et le gouverneur de la Reserve Bank of India, en charge d'appliquer le retrait et l'émission des billets de banque, s'est enfin exprimé à la presse.

Le Premier Ministre Modi appelle à une société sans cash, à paiements dématérialisés, tandis qu'un des chefs de son parti a clamé que la démonétisation donne des « nuits sans sommeil » aux chefs de l'opposition, formule pleine de sous-entendus. Et fréquente depuis le huit novembre.

Et Goa sera l'exemple du souhait de Modi à partir du trente-et-un décembre : le gouvernement fédéré va s'entendre avec les principales banques du petit État pour permettre les petits paiements par sms.

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