dimanche 10 novembre 2019

Stockholmia (10) : De la philatélie sociale

Retour à l'exposition des cent cinquante ans de la Société philatélique royale de Londres, qui a eu lieu fin mai - début juin 2019 à Stockholm.

Avec le second moment où j'ai croisé la problématique de la « philatélie sociale », qu'un historien décrirait comme : En quoi les objets de la philatélie et de l'histoire postale sont-ils des documents à part entière de l'étude historique ?

Le vendredi trente-et-un mai, en fin d'après-midi, alors que l'essentiel des participants se trouvaient de l'autre côté du port de Stockholm pour la signature de quatre nouveaux « philatélistes distingués », trois négociants philatéliques présentaient "Current Trends in Social Philately", titre qui avait suscité ma curiosité historienne.

Qu'est-ce donc d'abord ?

La proposition de Andre Schneider était de faire d'abord un point sur cette façon de collectionner et d'exposer. À leurs yeux, elle doit permettre d'intéresser un nouveau public vers la philatélie et l'histoire postale, en abordant notamment le contenu et l'histoire des correspondants, plus motivants à étudier que les types de timbres, de marques ou les tarifs postaux.

Une chronologie montrait comment la philatélie sociale se plaçait dans l'évolution de la collection : collection des timbres dans les années 1860, philatélie traditionnelle dans les années 1910, décollage de l'histoire postale dans les années 1960... Et, à partir de l'Océanie dans les années 1980, apparition de la philatélie sociale qui touche le Royaume-Uni dans les années 2000.

Même si quelques exemples montrent que la tendance est toujours proche du collectionneur : quel courrier méritait donc les risques pris par les pilotes des ballons montés du siège de Paris en 1870 ? Qui osait encore envoyer du courrier en Allemagne pendant l'hyper-inflation de 1923 ? Ou la recherche particulière des courriers ayant survécu, avec traces, aux accidents aériens.

Cela permet donc de connecter cette façon de collectionner à un public large : contexte autant politique qu'économique ; à l'échelle d'une ville, d'une entreprise comme de la vie quotidienne d'un individu ; ouvert à beaucoup de souvenirs : courrier, coupures de journaux, tickets de voyage, prospectus, photographies privées, etc.

Quelques exemples approfondis.

Pourquoi trois marchands philatéliques pour cette présentation ?

Tout d'abord, parce qu'ils peuvent être collectionneurs eux-même comme Karl Louis de Corinphila, qui exposait à Stockholm. Il proposait ce vendredi-là une collection sur les opposants au Corn Laws britanniques.

À partir de lettres qu'un historien postal trouverait des plus banales, il parvient à un exposé riche d'un quart d'heure sur certains meneurs, des associations et des lieux de cette lutte anti-protectionniste du dix-neuvième siècle.

Contenu du courrier, notamment prospectus de propagande, gravure des lieux de manifestations, etc. Une véritable recherche historienne.


Andre Schneider proposa une étude similaire sur « l'année sans un été » : 1816 connut des famines en Europe alors que les guerres napoléoniennes avaient enfin pris fin.

En partant d'articles scientifiques sur comment, dans les années 1920, on comprit l'origine lointaine (les conséquences d'une éruption volcanique en Indonésie en 1815) de la situation européenne, le philatéliste social relit les correspondances de 1816 dans sa collection pour retrouver les traces de ces manques et privations en France et en Saxe par exemple.

Croisant ainsi deux passions.


Premier intervenant chronologiquement, Charles Epting est venu présenté la fameuse enveloppe au Blue Boy d'Alexandria, dont son employeur organisait alors la vente aux enchères.

La question que se posa Epting quand il fallut préparer le catalogue de ventes pour attirer les acquéreurs - autant les historiens postaux qu'un public plus large en quête de belles choses de valeur à la revente - fut : parmi toutes les raretés que constituent les timbres des maîtres de postes des États-Unis des 1845-1847, pourquoi ce Blue Boy attire-t-il autant les collectionneurs ?

Retrouvez le catalogue de cette récente vente : l'histoire des deux correspondants et d'un Burn as usual non appliqué expliquent pourquoi d'après le vendeur.


Car, finalement, pourquoi rechercher de nouvelles informations et connaissances par le biais de la philatélie sociale ? Pour donner une valeur intellectuelle, affective, et peut-être monétaire à nos collections.


Et la compétition dans tout ça ?

La force de l'habitude est qu'en philatélie, quelque chose se collectionne car soit ça a de la valeur monétairement parlant, soit car ça permet d'illustrer une collection à médaille d'or.

Je me satisfait grandement de la réponse de Karl Louis : je me fais plaisir, je me fiche des règles.

Plus réglementairement, il y a problème...

Les classes d'exposition philatélique portent sur l'étude des objets philatéliques et postaux, notamment ce qui montre le fonctionnement de l'acheminement postal... alors que la philatélie sociale s'intéresse également au contenu de l'objet postal... ce que, au-delà de l'adresse du destinataire et de l'expéditeur, les postes ne considèrent pas dans l'acheminement.

La classe ouverte ? Il faut tout de même que la moitié des pièces soient philatéliques. Ce qui est tout de même mieux qu'en philatélie thématique où le non-philatélique n'est pas permis - même pas le destinataire.

Le Britannique Chris King fut cité pour illustrer ces deux (im-)possibilités - le résumé qui suit est le mien, donc une source très indirecte de Mr. King : en bons historiens, retournez lire ou écouter la source. Si une exposition est une histoire racontée au lecteur, alors :

- dans les classes philatéliques, la philatélie sociale et ses objets viennent soutenir, confirmer l'histoire écrite par l'exposant. Elle sert donc à s'assurer de la validité du discours, mais ne peut l'illustrer.

- En classe ouverte, par contre, elle peut faire partie de l'histoire racontée.

Questions du public.

Parmi les questions de la douzaine de personnes présentes, il fut remarqué que dans les clubs allemands, la philatélie sociale concerne autant des personnalités importantes ou des célébrités que l'histoire d'un individu anonyme, tel un soldat. Aux États-Unis, le parcours d'un soldat plongé dans la Guerre de Sécession. J'ajouterai que cela correspond aux recherches sur le vécu des déportés et des morts dans les camps de concentration et d'extermination nazis, évoqué par d'autres conférences.

Les liens avec la généalogie sont claires et combien d'« historiens des familles » auraient besoin d'apprendre comment fonctionnait la correspondance et son transport aux siècles passés ?

Une dernière statistique confirme qu'il y a une tendance vers la philatélie sociale : d'après Andre Schneider, un quart des article d'American Philatelist, la revue de l'American Philatelic Society étudient le contenu du courrier autant que la philatélie ou l'histoire postale traditionnellement définies.



Pensé en juin, rédigé en novembre, l'auteur s'excuse auprès des personnes citées s'il résume très mal leurs propos ; il les remercie pour leurs histoires passionnantes suscités par des courriers.

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