jeudi 12 juillet 2018

Les familles Bazille et Castelnau face au siège de Paris

Le vendredi six juillet 2018, une vente aux enchères d'histoire postale, organisée par la maison Aguttes, poursuivait la dernière affaire d'investissement philatélique en date... que Pierre Jullien a résumé le deux juillet sur Philatélie au quotidien*. Des épargnants ont cru pouvoir placer leur capital dans de coûteuses pièces de collections diverses et avoir un retour sur investissement garanti lors de leur revente.
Oui, d'une catastrophe de trois quarts de milliard d'euros - put... de b... de m... : investissez dans le développement durable sur les cinq continents avec tout ce fric !!! -, je retiens deux mots : le nom d'un des secrétaires d'une société depuis longtemps disparue (catalogue au format pdf de la neuvième vente liée à la liquidation de la société Aristophil).
La pyramide s'est écroulée... Mon opinion : planquer des pièces d'intérêt dans des coffres sans les exposer ou en proposer l'étude est le meilleur moyen qu'elles ne soient pas connues au-delà des cercles des spécialistes... Donc peu d'acheteurs au final, donc peu de montée d'enchères ? La crise du crédit immobilier états-unien de 2008 a montré que parier sur une montée continue de la valeur à la revente de biens que l'on ne souhaite pas vendre conduit à un catastrophique effet de levier inversé...

Cependant, sur les restes du champ de bataille, des collectionneurs ont pu se procurer des pièces intéressantes à un prix défiant toute concurrence, vu l'impatience des « victimes » à récupérer tout ce qui pouvait l'être.

L'histoire postale, objet de la neuvième vente à Drouot, semblait porter principalement sur les lettres transportés par ballon monté ou lâchés dans la Seine dans des « boules de Moulins », afin de faire sortir de ou parvenir à Paris du courrier malgré le siège des forces allemandes coalisées, pendant la guerre de 1870.

Parmi celles présentées par Pierre Jullien, une a capté mon attention pour le même motif que pendant la conférence de Kenneth Nilsestuen sur l'histoire postale algérienne en juin 2016 - un sujet sur lequel je reviendrai pendant l'été.
La page du catalogue Aguttes consacré à une cette lettre et page d'archive montpelliéraine (catalogue au format pdf de la neuvième vente liée à la liquidation de la société Aristophil).
Estimée entre huit et douze mille euros, la pièce n°56 est une lettre de Paris oblitérée le cinq novembre 1870 pour le Préfet de l'Hérault, résidant à Montpellier, et contenant une circulaire Aux citoyens originaires du Sud-Est de la France et résidant à Paris. Les amateurs doivent ajouter les zéros en raison de la qualité de conservation du document et du transport par le ballon La Ville de Chateaudun, j'imagine.

Était offert avec le pli une circulaire de la Société de secours aux citoyens de L'Hérault, association héraultaise pour venir en aide aux Héraultais enfermés dans la capitale par les armées d'outre-Rhin.

Adjugé dix mille quatre cents euros, j'en retiens deux mots, le prénom et le nom du secrétaire de la Société qui a signé la circulaire : Albert Castelnau (1823-1877) qui n'est pas un inconnu ni du Second Empire, ni de la Troisième République débutante.

Journaliste républicain, la relégation en Algérie puis l'exil européen s'imposent après son opposition au coup d'État du deux décembre 1851. Actif dans les années 1860, il n'est pas étonnant de le voir participer aux premières mobilisations de la Troisième République, même s'il devra attendre une élection partielle en juillet 1871 pour être élu puis réélu député, participant à l'établissement définitif de la République avec la crise de 1877, mais meurt de maladie peu après.

En dehors de sa « nationalité » montpelliéraine, mon intérêt porte sur sa famille étendue : il est le descendant d'une des plus grandes familles commerçantes protestantes de la capitale du Bas-Languedoc.

Son père Émile Castelnau est le « Castelnau » qui figure sur la lettre de Bône de 1840 présentée par Kenneth Nilsestuen, associé à Scipion Bazille. D'après mes connaissances, Albert, par contre, refusa de s'intéresser à la florissante maison de négoce et refusa de succéder à son père comme chef d'une cousinade de plus en plus étendue et puissante. Cela força le patriarche à choisir un gendre du fils de Scipion, Charles Leenhardt...

... oui, il faudrait plusieurs articles pour gérer l'arbre généalogique des Bazille-Castelnau-Leenhardt... Recherchez : il y a des articles d'universitaires accessibles en ligne ou sur ce blog si vous avez un peu de patience...
Carte-maximum réalisée lors de l'émission du timbre Vue de village [Castelnau-le-Lez] en février 2017.
Enfin, un des frères d'Albert Castelnau, Eugène (1827-1894), fut peintre - la famille est tellement riche qu'elle permet quelques libertés aux nombreux cadets : recherches agronomiques, carrières politiques, vie d'artistes, aventures commerciales à Marseille,...

Eugène est important pour l'histoire de l'art : il est le cousin de Frédéric Bazille. C'est lui qui aurait encouragé un des précurseurs impressionnistes d'aller étudier à Paris. Frédéric qui, au moment où Albert organise l'aide aux Héraultais de Paris, se bat contre l'envahisseur et en meurt le vingt-trois novembre, il y a bientôt cent cinquante ans.

Comme Frédéric et la plupart des membres de sa famille, Albert Castelnau est enterré au cimetière protestant de Montpellier, route de Palavas.

Complément du déjeûner :
* : coincidence des publications bloguistes, Pierre Jullien a publié le bilan de cette vente ce matin.

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