vendredi 3 janvier 2014

Le timbre, une chère plaie pour les opérateurs postaux

Oui, collectionneurs français qui avaient fait deux ou trois fois la queue, paraît-il, lors du Salon philatélique d'automne de novembre 2013 : une fois pour choisir, une deuxième pour payer, une troisième pour oblitérer premier jour...

Ce titre veut vous choquer et rappeler que le timbre-poste n'est qu'un élément du fonctionnement des entreprises postales, dont les plus nouvelles se passent comme les plus anciennement instituées peuvent se passer. Plusieurs cas récents montrent les conséquences de la disjonction entre ce que croient et veulent les collectionneurs et ce que croient et veulent des opérateurs postaux.

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J'y suis habitué avec les φφφtudes continuées de La Poste et de sa filiale productrice de nombreuses vignettes colorées et de feuilles de Mariannes multimodes d'impression et de grand format dorées à chaud, faisant monter l'adrénaline et suscitant le désir des collectionneurs, alors que - chacune avec leur style personnel - les deux dernières directrices de φl@poste montraient leur désarroi quand les représentants des associations philatélico-collectionnistes leur font remarquer tous les aléas de leurs relations avec les directions des Bureaux (refus de participer à une animation d'oblitération spéciale) et surtout celle de la Production essentielle de La Poste : le tri (suroblitération à la machine de beaux plis, voire... arghhhhhhhhhh... oblitération au stylo). Je ne parle même pas des autocollants de recommandation collés sur les timbres...

Les philatélistes et collectionneurs s'habituent donc, mais même eux rejoignent le grand public quand celui-ci découvrent au détour de l'actualité que son opérateur postal historique est une entreprise recherchant la profitabilité. C'est la synthèse composée par le marchand spécialisé de nouveautés britanniques Ian Billings sur son blog Norvic Philatelics, le 11 décembre 2013, que je complète de tous les signes précurseurs de cette apocalypse postale libérale causée par les contradictions sociales et politiques.

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Émis le 5 novembre 2013, ce feuillet gommé de timbre complémentaire de 2 eurocents permet à la Deutsche Post de voir venir la petite augmentation de tarifs du 1er janvier 2014. La version à vingt timbres autocollants pour le public est en vente depuis le 5 décembre.

Überraschung au stand du service philatélique allemand à Monacophil : ce peuple organisé émet une si petite valeur, surprenant. La surprise provenant du fait que, contrairement aux autres grandes postes voisines (en vrac, celles de : France, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni, États-Unis, Canada), la Deutsche Post n'est pas tombé dans la facilité/piège du timbre à valeur d'usage.

Facilité : ne pas avoir à produire de nouvelles valeurs faciales à chaque augmentation de tarifs, permettre aux clients accumulateurs d'acheter à l'ancien tarif des timbres à employer aux nouveaux tarifs augmentés.

Piège désormais pour des entreprises publiques auxquelles l'État demande d'être rentables pour être financièrement autonomes des subventions publiques : une masse de valeurs fiduciaires volant au-dessus des comptes et dont la valeur d'usage s'accroît avec le temps, et qui, à court terme, gêne les revenus philatéliques plusieurs mois après l'augmentation.

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Le timbre permanent expliqué sur le site de Postes Canada (encore lisible en ce 3 janvier 2014 cocasse vu le contexte).
Sur ce sujet, Ian Billings rapporte la méthode radicale que la Société canadienne des Postes a choisie, inspirée de la réforme belge et de la stupidité du réalisme commerçant, pour s'assurer que la grosse augmentation nécessaire du 31 mars prochain donne des effets comptables immédiats et pas quand le stock de timbres permanents - appellation locale des timbres d'usage à validité permanente introduits en novembre 2006 - achetés auparavant s'épuisera.

Pour la façon belge instauré depuis octobre 2007, vous achetez les timbres en carnets ou en rouleaux, l'expéditeur canadien paiera 85 cents (63 cents actuellement, de 43 à 58 eurocents). Le petit client qui achète au fur et à mesure qu'il envoie rarement une lettre : un dollar ! Soit 69 cents européens.

Sur ce point-là, le social-libéral que je suis n'a rien à reprocher. Nous - peuple électeur consommateur et nos élus - demandons à la fois des prix compétitifs donc la compétitivité et la concurrence, et la solidarité d'un tarif unique national. Comment demander à ces entreprises d'être mis en concurrence sur des secteurs en croissance et rentables (courrier urbain, recommandé et express, colis suivi) tout en étant seuls et déficitaires subventionnés sur le passage six jours par semaine devant chaque boîte aux lettres de la nation... Nation qui se plaint de toutes les augmentations de tarifs postaux tout en communiquant massivement par messagerie téléphonique (sms ou application de communication) et courriel.

Mais, Postes Canada est allé discrètement plus loin : tous les bureaux de poste - sous peine de sanctions disciplinaires - sont interdits de vendre quelque timbre permanent que ce soit depuis début décembre... La fuite provenant du syndicat des maîtres de poste, dont le dirigeant québécois est cité par La Presse le 13 décembre.

En effet, tous les timbres à valeur d'usage de la lettre simple et à validité permanente (voir capture d'écran ci-dessus toujours affichée sur le site) sont bannis du site commercial de Postes Canada : vous n'y trouverez que des timbres portant une valeur faciale : 63 cents actuellement nécessaires pour la lettre et plus pour les tarifs principaux.

Le pire est que tout ce qu'Ian Billings et la presse canadienne rapporte est actuellement au mieux commercialement inapproprié, au pire illégal : l'augmentation du 31 mars 2014 n'est pas encore votée par le Parlement canadien... J'imagine comment l'état des finances postales ont conduit à l'émission Superman et aux multiples émissions aux couleurs des équipes de hockey (des timbres permanents...), et à ce genre de pratiques.

Pourtant, relisez les commentaires de quelques blogs philatéliques français, c'est le regroupement des boîtes aux lettres des quartiers urbains qui a le plus marqué les esprits. Peut-être parce qu'il est visible que le timbre autocollant à validité permanente d'usage est, en France, populaire dans les directions des bureaux de poste et des centres de tri... qui, sans collectionneurs ni Phil@poste, iraient directement à la solution néerlandaise.

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Méthode néerlandaise qui, bien que douce et logique, choquerait les collectionneurs français : démonétiser d'une part et belgiciser les timbres d'autre part.

Faute de maîtrise du néerlandais, je me repose sur Ian Billings - dont je vous recommande le site commercial. Depuis le premier novembre 2013, plus aucun timbre en florin (gulden) n'est autorisé sur le courrier et aucun échange pour des timbres en cours de validité n'a pas été permis !

Relisez les courriers fou furieux de collectionneurs et de marchands-accumulateurs de timbres modernes en franc dans les magazines français quand la rumeur ou une petite phrase ose évoquer la démonétisation de quoi que ce soit, même en ancien franc.

Mais, alors que l'association néerlandaise des marchands de timbres a porté l'affaire en justice, PostNL est allée plus loin : pendant le procès, son avocat a évoqué la prochaine démonétisation des timbres en euro ! En effet, ce serait possible puisque, depuis 2010 selon le blog de Norvic Philatelics, seuls des timbres à valeur d'usage ont été émis...

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Et là, je tire mon bilan de l'année 2013 : le timbre-poste sert-il encore ? Non ou presque.

Certes, Deutsche Post a encore le sourire commerçant pendant que ses concurrents canadiens et néerlandais essaient de rentabiliser le timbre à valeur d'usage. Cependant, que voit-on dans tous les bureaux de poste européens, côté clients comme côté postiers : des machines débitant des timbres autocollants ou des vignettes préoblitérées. Même Royal Mail s'y ait mis tardivement et fort philatéliquement, mais elle s'y ait mis.

Pour envoyer un courrier urgent, un livre ou un objet, l'emballage proposé comprend ce que l'opérateur considère comme une marque d'affranchissement... Pour les recommandés français et tunisiens, le code-barres de recommandation sert de timbres-poste... et, dans un article intéressant et fort bien documenté, cette phrase d'Atouts timbres du 15 décembre 2013 sur le timbre-code-barres de recommandation tunisien est risible et montre qu'une partie des collectionneurs et des philatélistes sont trop déconnectés de la réalité actuelle des entreprises postales, publiques comme privées :

 « Preuve d'affranchissement, cet objet postal [l'enveloppe avec l'étiquette] peut toutefois difficilement entrer dans le cadre d'une collection philatélique pour la bonne raison que le code-barres est imitable. Comment savoir, en effet, s'il est réel ou fictif ? »

Quant le reste de l'article semble accepter sans problème les data matrix que l'on peut imprimer chez soi à partir du site commercial de l'opérateur.

Donc, les collections contemporaines exposées seront fort limitées en matériel et réduites à une exposition de timbres-φ, alors que les entreprises postales se servent de multiples formes d'affranchissement pour elles plus pratiques, plus rapides et moins coûteuses que les timbres-postes.


Timbre-poste encore utile bien sûr pour un des usages prévus lors des réformes du milieu du XIXe siècle : disposer de moyens d'affranchissement sans avoir à passer par le bureau et jeter son pli dans une boîte.

Mais, l'enveloppe timbrée, joyaux de la collection exposée, est-elle plus sûre que le code-barres ? Ce n'est pas moi qui interroge le timbre, ce sont un cadre de l'imprimerie de Boulazac dans Sud-Ouest le 23 septembre 2013 et John Deering, le spécialiste du timbre d'usage courant pour Gibbons Stamp Monthly dans son bilan 2013 de sa chronique datée janvier 2014. Dans les deux cas, ce sont les timbres autocollants en offset qui sont visés, et si vous reprenez les numéros de l'année révolue du magazine britannique, vous verrez que même l'encre iridescente a été imitée, partie essentielle des dernières mesures de sécurité de la série Machin.


Et, encore, même dans ce cas, pourquoi m'encombrer de vignettes autocollantes ou pégueuses, de faire la queue au bureau ou devant un distributeur ? Généralement plus cher, mais immédiat : le code écrit au stylo (que dirait l'auteur d'Atouts timbres et diront les juges philatéliques ?) que l'expéditeur mobile reçoit par sms sur son phone : Handyporto en Allemagne depuis 2008, les postes fusionnées du Danemark et de la Suède en 2011 et la Suisse en 2013.

Sinon, combien de courriers de vœux en décembre et janvier alors que plus d'un millard quatre cent millions de sms et plusieurs millions de photos et de vidéos ont été échangés les 31 décembre et premier janvier derniers ? 

Provoquant : combien de cartes de vœux finiront à terme à la poubelle comme la majorité de ces messages téléphoniques, même affichés sur des réseaux sociaux, finiront dans l'oubli ?

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Revenons aux collectionneur pour qui la plaie, ce n'est ni eux, ni le timbre.

Le rédacteur-en-chef de Timbres magazine, Gauthier Toulemonde, ne fait pas de bilan passé dans son éditorial de décembre 2013. Après un mois en expédition robinsonienne - et un festin de chats pour les varans, je comprends que le patron de presse a en tête autres choses. Tant mieux, bien entendu, qu'il a pu parler de philatélie et de timbres dans des médias généralistes - φl@poste appréciera, mais depuis l'annonce de sa nouvelle aventure (souvenez-vous), je focalise sur le télétravail appliqué à Timbropresse : un petit noyau restant à Paris pour avoir accès aux acteurs centraux de la φlatélie dans des locaux réduits, les autres œuvrant depuis un chez-eux choisis ?

Dans le même numéro, les bilans des nouveautés 2013 et de l'époque contemporaine de la collection sont établis par celui qui a compilé en sept pages les émissions publiques et privées de 2013 et son bilan financier, et aussi l'évocation du contenu des états généraux de la philatélie dans l'antipode chronique de Socrate.

Combien des timbres 2013 directement enfermés dans les collections - Postes Canada et PostNL ont-elles raison ? Combien sur le courrier général ? Quel philatéliste pour rechercher ou envisager comment estimer ces nombres ? Où dialoguer de l'exhaustivité de la collection ou de la nature d'une collection ? Pas La Poste, ni Phil@poste à coup sûr... à mes yeux. Commencez par ces deux sondages sur Les News du phospho (15 et 16), ça donnera déjà une idée des représentations de ses lecteurs.

Englué dans mon quotidien actif, je trouve néanmoins des indices de l'avenir de la réflexion philatélique : la lettre d'informations des Collections philatéliques de la British Library rapporte, cet été 2013, le premier symposium en novembre 2012 de l'Institut pour une philatélique analytique : pour une analyse scientifique complémentaire de l'observation et des connaissances.

Une véritable aventure intellectuelle comme le montre les articles continus dans London Philatelist de philatélistes-ingénieurs essayant de comprendre, à travers les archives d'imprimeurs de timbres, comment fonctionnaient les différents processus allant de la gravure à l'impression. Travail scientifique régulier du comité d'expertise de la Royal Philatelic Society London d'ailleurs (si je parviens à retrouver dans quel numéro de magazine britannique ce travail est présenté).

Que 2014 continue à voir des philatélistes, de véritables chercheurs qui acceptent de lever les yeux de leurs accumulations collectionnées et des factures allant avec, et se lancent dans la réflexion et l'écriture pour partager leurs connaissances, intéresser à leurs idées.

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