dimanche 4 avril 2021

Administration coloniale et spéculation philatélique aux îles Cayman

 En 2020, le Stuart Rossiter Trust a publié l'ouvrage de Graham Booth, Crises in the Cayman Islands Post Office (1889-1939).

Couverture du livre (site du Stuart Rossiter Trust).

À partir des archives existantes dans le territoire d'outre-mer britannique et dans la correspondance de grands collectionneurs de la période, l'auteur explique comment a difficilement fonctionné le système postal des îles Caïmans, entre les nombreux acteurs et conceptions impériales, avant que l'arrivée d'Administrateurs plus audacieux au début du vingtième siècle ne parvienne à lancer les trois îles vers de nouvelles activités, tourisme nautique et balnéaire notamment.

Côté collection, le cadre chronologique comprend les périodes de surcharges de valeurs ayant suscité l'engouement des philatélistes, ce qui permet d'étudier un phénomène de spéculation fort habituel dans le domaine, mais qui suscita incompréhension de l'administration impériale londonienne, accusation contre les agents postaux caïmans de ceux qui ne purent obtenir les timbres,... Par les recherches et déductions de Graham Booth, il est proposé au lecteur qui, sur place, était seulement débordée par sa bonne foi de faire plaisir à ses lointains, mais fidèles, acheteurs, et ceux qui ont pu en tirer profit hors de toute honnêteté de la fonction postale.

L'ouvrage est illustré de nombreuses lettres et cartes, à la fois de correspondance régulière, et aussi très sûrement à but de collection ou spéculatif dès qu'on apprend à connaître les expéditeurs, destinataires et contexte des envois.

À l'aide d'une minuscule colonie, Booth permet de réviser comment les puissances européennes ont géré leur empire : au plus juste coût pour en maximiser l'intérêt économique. Voilà comment, sans le vouloir, l'Administrateur - le représentant de la Couronne à Grand Cayman - a pu obtenir pour ces trois îles isolées entre Cuba et Jamaïque, un statut postal autonome à l'Union postale universelle, alors qu'énormément de choses dépendait pourtant du gouverneur et du maître des postes à Kingston : gestion interne du transport de courrier, émission de timbres-poste,... Il n'aura néanmoins pas d'escale d'une grande ligne maritime pour accélérer le courrier vers New York et l'Europe ; la réputation de naufrageurs des locaux ?

Le dédain court même pendant les périodes de surcharges, justifiées ou pas : de Londres à Kingston, tant que l'Administrateur et le personnel chargé (parmi bien d'autres activités) de la poste fassent au mieux, on s'en préoccupe peu... tant que les pêcheurs caïmans ne provoquent pas d'incidents diplomatiques en se rendant trop près des États d'Amérique centrale. Jusqu'au jour où un philatéliste d'importance se plaigne par courrier au ministère des colonies et dans la presse philatélique, alors là, c'est le grand silence à Londres et la redescente d'ordres intimant de ne plus recommencer depuis les rives de la Tamise à Kingston jusqu'au bureau de l'Administrateur isolé parmi une population laborieuse, peu aisée et soucieuse de chaque sou d'impôt.

Booth parvient à mettre de l'humain sur ces Administrateurs, les postiers non professionnels qu'il emploie, et certains membres de la communauté caïmane vivant du commerce principalement de la chair de tortue ou de leur carapace à destination de Cuba ou des États-Unis, parfois plus proche que les colonies britanniques voisines de Jamaïque et Turks and Caicos où sont passés plusieurs administrateurs.

Une lecture passionnante autant pour l'amateur d'histoire coloniale que pour l'historien postale et le philatéliste souhaitant comprendre mieux les quelques éléments caïmans de sa collection. En généralisant, une étude de cas de comment certaines minuscules colonies se sont retrouvés dans ces grandes disputes spéculatives - entre nécessité du service, besoin local de revenus voire, rarement, cupidité délictuelle.

Un seule nuance. En préface, l'auteur renvoie aux auteurs qui l'ont précédé et aux publications des associations spécialisées pour des guides et manuels détaillés ; de là, il explique avoir volontairement refusé d'inclure des notes de bas de page pour indiquer les sources des documents et faits cités. Il a voulu rédiger un livre pour le plaisir et le loisir du lecteur, non un mémoire de doctorat... Pourtant, la fin de l'ouvrage comprendre des listes par fonction exercée, des reproductions de documents en annexes, une bibliographie et un index des personnes citées.

Graham Booth, Crises in the Cayman Islands Post Office (under the British colonial system 1889-1939), Stuart Rossiter Trust, 2020, ISBN 978-1-908710-08-6

Note : la postière de George Town, Gwendolyn Parsons, qui géra en 1907 et 1908 le courrier arrivant ou partant des îles, mais aussi les commandes de timbres de la part des collectionneurs. Arthur Bodden, un de ses successeurs de 1909à 1919 est d'une autre trempe concernant la spéculation philatélique.

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