Je suis telle la poule devant le couteau face à l'art contemporain, mais aussi face à la littérature française contemporaine, surtout dès que cette dernière dépasse mes passions habituelles. C'est donc en profitant de bons d'achat que j'ai pris le risque d'Affranchissements de Muriel Pic, publié aux éditions Seuil en septembre 2020.
La couverture d'Affranchissements avec le bandeau rouge de la mention spéciale remise par le jury du Prix Wepler 2020, associant une brasserie et une librairie de Montmartre, à Paris, et la Fondation du Groupe La Poste. |
Pourquoi cet ouvrage-là ? À cause d'une critique paru dans Libération daté du vingt novembre 2020 (numéro acheté spécialement pour soutenir leur enquête sur un lapin en sauce) qui résumait le point de départ du travail d'écriture et de recherche mi-artistique mi-documentaire de Muriel Pic - et qui ne pouvait que susciter la curiosité d'un philatéliste.
L'écrivaine, enseignante à Berne et chercheuse en nouvelles formes littéraires, avait un oncle britannique, Jim, né en 1923 et disparu en 2001. Le livre... l'essai... ou le « récit » de sa vie permet de découvrir de nombreux aspects de la vie personnelle d'une personne rendue bossue jeune par une forme de tuberculose, ayant vécu dans un grand hôtel de la Côte d'Azur possédé par ses parents, puis, en Angleterre, avait consacré sa vie à deux passions : les fleurs et la collection de timbres.
Chaque partie biographique est complétée par l'autrice de documents d'époque. À la manière d'un généalogiste recherchant le contexte de vie d'un ancêtre concernant l'hôtel Bellevue de Menton et des solariums et centres de soin pour enfants tuberculeux pendant l'entre-deux-guerres. À celle d'un essayiste sur d'autres formes d'affranchissements quand il est question des formes de contrôle de nos sociétés contemporaines, notamment l'argent et la consommation à outrance... face auxquelles le mode de vie de Jim s'opposait : logement simple dans Londres, cahiers d'étude de fleurs et de planification horticole essayée sur une parcelle d'une université anglaise,...
Au milieu de ce foisonnement qui interrogera souvent le lecteur, les timbres servent de fil rouge comme ils servirent de liens réguliers entre Jim et Muriel, entre chacune des visites de cette dernière en Angleterre. Elle les a collectionnés à partir de huit ans, les a délaissés, mais Jim continuait à lui en envoyer régulièrement... Après sa mort, ce sont les dernières lettres contenant les émissions britanniques du Millénaire qui semblent avoir lancé la réflexion de la chercheure sur la vie de son oncle et son sens autour de cette liberté prise malgré l'emprisonnement du handicap laissé par la maladie vécue à l'enfance.
Un timbre ouvrent donc chaque grande partie, mais des poèmes ponctuent aussi l'essai, tentant par ce genre littéraire de chanter la vie et les passions de Jim : certains évoquent les fleurs et les saisons, d'autres la philatélie... et, par là, l'amour possible du collectionneur pour la postière qui lui prépare la nouvelle émission de timbres qu'il vient chercher régulièrement.
Je précise que mon résumé est très partiel : il y a aussi des parties sur la langue anglaise et comment un célèbre auteur français s'est affranchi de son apprentissage académique, et bien d'autres réflexions sur des sommités du vingtième siècle dont les recherches ou les actions permettent de saisir quelle put être la vie de Jim enfant, jeune adulte et chercheur reclus mais lié à sa famille.
Un ouvrage à lire, notamment pour ceux qui seraient inspiré à faire de la littérature avec leurs passions ou collectionneuse de timbres ou de recherche généalogique. Les historiens postaux y trouveront des pistes sur la présence états-unienne sur la Côte d'Azur : soldats en convalescence et marins en visite de la dernière partie de la Première Guerre mondiale à l'entre-deux-guerres.
Aller plus loin :
- la biographie de Muriel Pic sur la page consacrée à l'émission La Grande Table Culture du vingt-trois novembre 2020 (France Culture) ;
- pour rechercher le livre : ISBN 978-2-02-144777-4 (19 euros).
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