samedi 27 mai 2023

Quand le Vatican soutient l'autoritarisme colonialiste

Mi-mai 2023, le service numismatique et philatélique du Vatican a dû renoncer à émettre le timbre pour les Journées mondiale de la jeunesse 2023, qui auront lieu à Lisbonne, au Portugal, du premier au six août prochain.

Le timbre non-émis du Vatican pour les Journées mondiales de la jeunesse à Lisbonne (via le journaliste Filipe d'Avillez).

Sur Twitter et dans la presse, ce sont principalement des médias et journalistes portugais qui ont été stupéfaits par l'illustration puis ont rapporté l'annulation. Même le haut-clergé portugais est intervenu.

Depuis 1984 sous le pontificat de Jean-Paul II, ces Journées permettent la rencontre du pape, de l'Église et des jeunes catholiques du monde entier.

Ici, l'illustrateur a choisi de reprendre la base architecturale d'un monument touristique de Bélem, une paroisse civile de Lisbonne, le Monument aux découvertes, qui évoque les explorateurs, navigateurs et premiers conquistadores portugais des quinzième et seizième siècles. Les statues de ceux-ci sont remplacées par le pape François menant une file d'enfants.

Sauf que...

Au Portugal, le problème est la genèse du monument : il fut construit pour l'Exposition du Monde portugais de 1940 pour valoriser le pays en paix et son empire colonial alors que le monde sombrait durablement dans une nouvelle Guerre mondiale. Le monument choisi a donc le style et les messages de l'Estado Novo du dictateur Salazar... et, en remplaçant les personnages historiques par des enfants, le conforte puisque la propagande à destination de la jeunesse participait de l'Estado Novo.

À l'international, on comprend que le Portugal est gêné que son passé de métropole coloniale soit choisi pour faire venir des jeunes des Amériques, d'Afrique et d'Asie, continents ayant subi la rencontre avec les explorateurs-rapaces européens et leurs successeurs colons.

Pire, dans le contexte politique vatican : le trente mars 2023, deux organismes de la Curie vaticane, le dicastère pour la Culture et l'Éducation et le dicastère pour le service du développement humain intégral, ont publié une condamnation de la Doctrine de la découverte qui a justifié la conquête des Amériques, et affirmaient explicitement qu'elle ne faisait pas partie des enseignements de l'Église catholique. Ils rappellent également que dès la bulle Sublimis Deus de 1537, le pape Paul II affirmait la liberté et le droit à la propriété des indigènes, ainsi que l'impossibilité de les asservir.

Que s'est-il passé ?

Après les réactions du clergé portugais, les journalistes portugais ont enquêté : les organisateurs locaux des Journées n'ont pas été consultés sur l'illustration. Il reste possible que l'illustrateur ait travaillé de bonne foi sur une belle image, mais sans que ni lui, ni ses commanditaires - des membres du gouvernement de l'Église tout de même ! - n'accomplissent un travail de recherche documentaire sur le sens que pouvait avoir l'image.

Alors, je propose deux hypothèses :
- soit nous avons un nouveau cas d'illustrateur obligé de travailler en vitesse au profit d'un service philatélique,
- soit, au Vatican, le cœur politique de l'Église catholique est d'un conservatisme qui continue d'apprécier les dictatures et les partis de l'Ordre.

Dernière chose tant que les médias philatéliques n'ont pas publié sur cette affaire : le timbre a été en ligne sur la boutique philatélique vaticane avant son retrait. Il n'y a pas d'information si des exemplaires ont réussi à être acheté directement au bureau de poste, à Rome.*

Sources :


Pour en savoir plus sur l'Exposition du Monde portugais et sa philatélie, lire l'article de François Chauvin, « Lisbonne 1940 : Exposition du Monde portugais », paru dans Timbres magazine, mai 2021, pages 72-76.

Complément du lundi vingt-et-un août 2023 :
* : Le mail d'annonce du prochain Timbres magazine daté septembre 2023 est arrivé. Son rédacteur-en-chef, Michel Melot, fait le récit de cette émission suspendue en éditorial, en précisant que la courte durée d'émission a permis la vente de mille cinq cents à deux mille timbres et que la spéculation est à mille euros quand il écrivait ses lignes.

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