vendredi 10 février 2017

Des tragédies humaines à la beauté de la nature : la philatélie à l'université

D'un côté le timbre-poste - pourquoi et comment il a été émis, pour quel impact public - semble ignoré de l'université française à en croire l'introduction de l'ouvrage d'Alain Croix et Didier Guyvarc'h.

De l'autre, des chercheurs passionnés par le timbre et la correspondance. Souvenez-vous de l'enthousiasme du Néerlandais David Van der Linden face aux lettres encore cachetées d'un coffre de la fin du dix-septième siècle. Ou Serge Haroche contant, lors d'un colloque au Collège de France en octobre 2015, l'histoire de la recherche des Lumières sur la lumière en représentant les savants danois par leurs timbres nationaux.

Timbres en guerre. Les mémoires des deux conflits mondiaux.
C'est le titre d'un ouvrage des deux historiens cités en introduction et publié aux Presses universitaires de Rennes : En quoi les timbres-poste émis depuis 1914 sur les deux Guerres mondiales permettent-ils de comprendre les mémoires et leurs évolutions qu'en ont les différents États et peuples ?
La couverture de l'ouvrage (Gibert Joseph : livraison gratuite en librairie).
La lecture est passionnante, peut paraître une mise en texte d'une liste thématique des émissions, mais dépasse cela par la problématique et les outils mis en action. Par l'étude des tarifs postaux, des tirages et des archives de la genèse du timbre, les chercheurs essaient de comprendre la place de l'émission dans les événements, les commémorations ou le camouflage de celles-ci.

Pour la France, la question de comment les historiens, l'État et les publics ont travaillé la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est à la mode atteignant le programme du baccalauréat des séries générales depuis 2011. La série des Héros de la résistance est ainsi décortiquée : pourquoi commémorer des individus à partir de mai 1957 alors qu'il était convenu de célébrer LA résistance ? Comment le faire sans honorer des communistes ? Sans vexer les alliés politiques du ministre des Postes ? Et contourner les rancœurs de certains milieux politiciens contre Jean Moulin ? Et ces débats sont loin d'être finis, soixante-dix ans après pourtant : retrouvez les tribunes dans la presse sur quels résistants devaient rejoindre le Panthéon en 2015...

L'ouvrage devient donc très intéressant, au moins pour le lecteur français, en abordant ces questions pour d'autres pays : l'Europe de l'Est communiste avec la République démocratique allemande affrontant les crimes nazis, la Pologne qui fut prise entre les deux feux nazi et stalinien ; les différences entre les feuillets du cinquantenaire émis aux États-Unis et ceux émis dans les îles Marshall ; de la représentation abstraite ou saisissante des camps de la mort établis par les nazis et par les Japonais ; et bien d'autres questions encore...

Mon résumé oubliant les chapitres sur la Grande Guerre, les occupations et bien d'autres choses à lire.

Atout d'une étude d'histoire globale : découverte des points de vue de bien d'autres nations. Et pour les philatélistes, une façon détachée de parler du marché des nouveautés à étudier.

Contrainte : comme souvent en histoire globale, la spécialisation habituelle de l'historien l'empêche d'approfondir tous les territoires de la même manière. Ce que Croix et Guyvarc'h admettent, notamment pour l'Asie.

Mais qu'ils compensent par une bibliographie qui inciteront les philatélistes thématistes à replonger dans les anciens numéros de Timbres magazine et ses prédécesseurs, tout comme dans les bibliothèques universitaires françaises (tel Frédéric Rousseau de l'Université Montpellier Paul-Valéry), allemandes, britanniques, états-uniennes, etc. Voire à aller affronter les archives publiques et postales.
La victoire contre le nazisme = le retour à la vie tranquille... Très loin des correspondances des îliens déportés, présentées par Ron Brown en septembre dernier (collectgbstamps.co.uk).
Quelques traits d'humour sont permis... grâce aux Britanniques et leur façon originelle de ne pas célébrer : la récolte du varech pour la troisième anniversaire de la libération des îles Anglo-Normandes.

L'histoire naturelle sur timbres en exposition au Québec.
Puisque les humains sont dangereux, tournons-nous vers la nature avec David M. Lank, collectionneur thématiste passionné et professeur de gestion des entreprises à l'Université McGill de Montréal.

Depuis le jeudi douze janvier et jusqu'au dimanche quatorze mai, une partie de son immense collection de timbres et d'histoire postale liée à l'histoire naturelle est exposée à la biliothèque de l'université et fait désormais partie de ses livres rares et collections spéciales.

Lors de l'inauguration, Lank a expliqué l'importance de ces représentations philatéliques pour l'éducation à la nature du public et... tout simplement leur beauté, citant un des artistes du genre, Claudio d'Angelo et ses vignettes pour la Fondation de la faune du Québec.
David Lank expliquant l'importance du choix de l'environnement dans la représentation des animaux : météo ou climat ? (conférence du douze janvier 2017, youTube).
Il a également réussi à introduire l'histoire postale à son auditoire depuis Sumer à l'introduction du timbre-poste en passant par les plumes scellées sur lettres urgentes d'Ancien Régime ou l'importance de la lutte contre la fraude dans l'exécution des premiers timbres. Tout cela avec  des animaux présents ! Les chevaux bien sûr, quelques pigeons voyageurs.

Une très dense et fascinante présentation en un peu moins de trois quarts d'heure.

Les discours d'ouverture de l'exposition Every Stamp A Story sont visibles sur youTube, en anglais (avec quelques politesses en français), dont celui de clôture de Robert Waite, président du Comité consultatif des timbres émis par Postes Canada, ravi du projecteur allumé par Lank et les Amis de la Bibliothèque de l'Université McGill et braqué sur le loisir.

Aucun commentaire: