mardi 2 novembre 2021

Dans le monde de la libéralisation postale : où est l'espoir ?

 Depuis les années 1970-1980, le libéralisme anti-Étatique fondé sur libéralisation et déréglementation des services essentiels (eau, énergie, communication, etc.) pour les rendre rentables aux yeux d'actionnaires privés est à la mode... et résumable en un principe simple : « Privatiser les gains, nationaliser les pertes » qu'elles soient économiques ou sociales.

Car l'actualité apporte régulièrement les conséquences parfois positive, souvent critiquable de cette voie dans les secteurs des postes et transport de colis, peuplés d'entreprises-mères et de filiales publiques et privées aux comportements qui m'interrogent et m'inquiètent de plus en plus.


Côté philatélie - commençons par le plus futile mais le diable ne se cache-t-il pas dans les détails ?

L'auteur du blog Israel Stamps Review (@Stamps_Israel sur Twitter) se proposait, ces dernières années, de présenter les nouvelles émissions de timbres israéliens et d'en critiquer l'art. Ce dimanche trente octobre 2021, il annonce cesser de collectionner ces nouveautés.

Comme beaucoup de postes qui se pensent modernes, donc ultra-profitables, la poste de ce pays a considéré la philatélie comme une coûteuse vache à lait. Les lecteurs français se souviennent sûrement de la période pré-Livchitz de Φlaposte : forte incitation à s'abonner ou commander uniquement par correspondance, disponibilité décrue des timbres commémoratifs dans les bureaux.

Imaginez cela en pire : pas de calendrier annuel ou semestriel des émissions, qui sont annoncées du matin pour le jour même, timbres non disponibles dans les bureaux... Et, étonnement, pas même au bureau principal de Jérusalem. Rappelons que l'extrême est britannique où la Royal Mail privée émet les timbres vendus dans les bureaux d'une entreprise publique qui doit être rentable, le Post Office...[1] Bon courage pour trouver des timbres illustrés de feuille.

Des conclusions me viennent. D'abord, que ceux qui ne jurent que par la valeur-rareté en philatélie lâcheront φl@πoste... dans le sens du verbe « lâcher » qui leur plaira >:)

Soit abandonner la collection des nouveaux timbres de France pour se jeter sur ce genre de pays et en collectionner les premiers jours d'utilisation commerciale. En effet, comment un collectionneur peut-il confectionner des premiers jours à ses correspondants, des cartes-maximums pour son plaisir dans de telles conditions ? Grande rareté annoncée.

Soit feront du tri dans leurs achats français, les réaliseront avec un plaisir renouvelé et multiplieront les correspondances écrites bellement affranchies en se disant que l'actuel directeur du service philatélique a réussi à remettre les timbres dans une partie des bureaux dans le contexte, que je comprend ultralibéral, du groupe.


Ces élans de rentabilité sur philatélie, plutôt contre-productifs, alors que plusieurs parties du vaste monde montrent que la philatélie est loin d'être morte : depuis les postes des continents du Sud qui promeuvent services postaux et timbres-poste grâce au fait que la population a davantage accès aux réseaux sociaux qu'elles alimentent abondamment (le Guatemala n'est qu'un exemple) qu'aux publicités possibles dans la presse imprimée et à la télévision.

Jusqu'aux collectionneurs chinois et de la Péninsule arabique qui organisent rencontres et salons jusque dans les centres commerciaux des émirats, au plus près du public donc, suivis par les postes régionales et les médias. Et au-delà les Américains de Mi Oficina toujours à proposer leurs vastes connaissances et collections sur YouTube.

À Sharjah, la semaine dernière, outre donc aux passants des commerces alentours, une exposition a fait connaître le loisirs auprès du public émirati à la télévision, et la poste d'Oman a profité d'une collection médaillée pour interviewer un collectionneur spécialisé dans ce pays.

Certes, la France dans la communication philatélique n'est pas un désert. Mais plusieurs postes et services philatéliques européens gagneraient à trouver inspirations au loin. Dernièrement, j'ai découvert qu'en Irlande et au Japon, quelques postiers tiennent au nom de leur bureau local un compte sur les réseaux sociaux pour s'inclure dans la vie du bourg ou du quartier, tel celui de Newbridge rappelant son histoire et son évolution (colis...), à une quarantaine de kilomètres de Dublin.


Par contre, en France, profitons du courrier qu'on peut encore envoyer et recevoir car je jurerais que des cadres postaux le considèrent comme une activité détestable, comprendre non rentable et pour laquelle il faut embaucher soi-même.

Certes, il y a eu, cet été, des articles annonçant la subvention complémentaire de l'État pour assurer le service universel sur tout le territoire national : et oui, quand on libéralise un service public, ce n'est plus vous le client, c'est l'État. Voyez du côté du chemin de fer quand la Société nationale des chemins de fer a fait comprendre à l'État que plus de trains interégionaux ou de nuit supposaient plus de subventions du client qui les demande...

La semaine dernières, des postiers syndiqués du centre de distribution de Montpellier-Rondelet ont alerté la presse locale de la dégradation à venir du service courrier pour les destinataires. Encore une fois hélas.

Alertes publiées dans Métropolitain le vingt-huit et Midi libre le trente-et-un octobre dernier : le logiciel de calcul de la durée des tournées de facteurs fait encore des siennes : à la prochaine réorganisation des tournées, il considèrera le facteur prêt à partir trente minutes après le début du tri...[3] qui prend au moins une heure et plus ! Un recommandé ne doit pas prendre plus de dix secondes à être délivré au lieu d'une minute trente depuis 2019... N'attendez plus chez vous la livraison d'un recommandé !

L'intelligence artificielle étant une technologie en construction et très coûteuse, j'imagine d'où proviennent les idées saugrenues qui anime le logiciel de tournées... Sachant qu'à ma connaissance, La Poste n'a pas répondu à ces articles à ce jour.

Yaka, faux con, m'accusera-t-on d'être. Peut-être. Il est vrai qu'un destinataire peut ouvrir un compte sur le site ou l'application de La Poste et, dès qu'il a connaissance du code de suivi, rediriger le colis ou le recommandé vers un bureau ou un point-relais à sa convenance. C'est une conséquence pratique de la libéralisation : au client de se prendre en main et, de là, sauver un peu la forme du facteur qu'on presse.

Mais, je me demande : pourquoi les facteurs-courrier, dont le président de La Poste prétend, dans les émissions de radio, être fier de les voir si nombreux six jours sur sept sur toutes les routes de France, n'ont-ils pas la charge d'une partie des colis, parmi les moins volumineux ? À faire la promotion avec la complicité d'élus locaux de véhicules aux formes de gadgets autonomes ou légers électriques pour la ville (ici en 2021, mais Montpellier est un petit laboratoire : rappel 1 et 2) , pourquoi ne pas s'en servir et revoir le périmètre de partage entre facteurs-courrier et facteurs-colis dans les zones urbaines ?

Au lieu de cela, tous les six mois, à chaque réorganisation des tournées, la presse locale évoque les mouvements de grève et d'angoisse des postiers dans les bureaux de distribution sans que les journalistes - aussi pressurés par leurs actionnaires - n'osent d'enquêtes nationales. Et les postiers titulaires espèrent partir avec indemnités et les contractuels espèrent des contrats de titulaires... Ça ressemble aux primes de départ volontaire chez Amaz... Oups.


Excusez-moi, enquête nationale il y a eu, ça a fait mal : Noël 2015 et Envoyé spécial...

Et puis non, rien, pas de suite. Les consommateurs-électeurs occidentaux s'en foutent : tant que le colis part et arrive, peu importe l'entreprise qui a la charge du transport et la souffrance de ses employés au milieu.

Aux États-Unis, le dernier été de la présidence Trump, en 2020, il aura fallu que la direction de la poste états-unienne retira des boîtes aux lettres des rues des centres-villes, des lotissements et des hameaux pour que le public réalisa ce que l'administration républicaine entendait par rendre rentable la poste. Choc chez les ruraux, pour lesquels mêmes les courses du quotidien sont sous-traitées par les grands groupes à l'United States Postal Service, entreprise odieusement publique, mais la seule acceptant de livrer à perte dans ces lieux à l'écart.

À Paris, Gurvan Kristanadjaja, journaliste de Libération connu pour ses enquêtes sur les travailleurs sans-papiers, a suivi le vingt-cinq octobre une manifestation de livreurs de supermarchés.

Nouvelle publiée par le journaliste Gurvan Kristanadjaja sur Twitter, le vingt-cinq octobre 2021.

Une chaîne de supermarchés vous promet la livraison de vos courses, activité qui est sous-traitée quatre fois, nous apprend-t-il.

Je comprend pour la première : le supermarché - lieu de stock et d'encaissement - préfère déléguer à une entreprise spécialiste de la livraison sur demande et, en effet, comment prévoir chaque jour le nombre de clients demandeurs, le volume des livraisons, leur géographie, avec des produits périssables et des horaires à caler.

Mais, pourquoi sous-traiter des livraison à domicile au « service de livraison de colis en relais et consignes n°1 en France de @DPDgroup_news, le réseau international du @GroupeLaPoste » ? Soyons ouvert d'esprit à la division parisienne du travail : si le premier sous-traitant a les compétences de gestion, ce second aura alors les véhicules et les livreurs...

Même pas ! Ce réseau, filiale du Groupe La Poste, sous-traite aux petites entreprises qui ont les numéros de téléphone de livreurs auto-entrepreneurs (ou micro-entrepreneurs dans le vocabulaire officiel actuel)... Un statut sarkozien de 2008 qui fait porter beaucoup de risques et de coûts à des travailleurs individuels, voire très isolés des syndicats et en position de faiblesse, notamment ici l'absence de visa ou la peur de ne pas voir leur visa renouvelé faute de revenus réguliers.

Je vais continuer à traîner mes courses à pied. Ce n'est pas une solution globale, je sais.[2]


Néanmoins, dans ce système libéral supposé de « liberté du choix », il faut considérer que la faute en incombe aussi aux clients expéditeurs et destinataires qui, en effet, ne se posent pas assez de questions sur les coulisses du marché proposé et du fonctionnement de l'économie actuelle, depuis la livraison de courrier-colis-repas du soir par des travailleurs angoissés jusqu'à la production alimentaire de ce qu'ils ingèrent ou du dernier gadget à batterie intégrée non remplaçable qu'il faudra bien remplacer un jour.

Outre le report systématique des achats et commandes à des commerces proches, et sans livraison exploitant des auto-entrepreneurs mal considérés (mon Dieu, l'abattement des livreurs sous-traitants qui doivent absolument déposer le colis avant quatorze heures quand un de mes voisins est absent pour être payé sans pénalité. Quelle pitié...), j'essaie de suivre des gens sérieux ou thématiquement liés à mes goûts sur les réseaux sociaux, mais ils peuvent de temps à autre reprendre des choses étranges et qui révèlent qu'être rentable avec du courrier de nos jours est une activité très difficile.

Telle cette étudiante qui annonce publiquement, ce week-end, que ses grands-parents se sont vivement inquiétés d'un possible accident dans la grande ville... Et oui, ils étaient sans réponse à un courrier qu'ils lui avaient envoyé depuis plus d'une semaine. Justification : nous avons une génération montante qui vérifient très rarement sa boîte aux lettres physique...

Ce qui permet d'en revenir au premier exemple israélien : quand la poste rentable ne propose plus de timbres ou de temps d'accueil aux clients dans ses bureaux, comment les enseignants pour les enfants et les formateurs pour les étrangers, apprenant les us et coutumes, peuvent-ils être accompagnés et découvrir le courrier et les services postaux ?

Je suis tombé dans la philatélie quand l'administration postale envoyait encore des facteurs dans les écoles primaires raconter l'histoire d'une lettre, avec, en cadeau, un timbre pour envoyer une lettre à ses parents, une petites pochettes de timbres oblitérés et un livret d'épargne avec dix francs offerts. Aujourd'hui, ce genre de choses doit faire siffler les oreilles des comptables de groupes postaux dans le monde occidental.

Ou alors, je suis déjà un dinosaure et certaines fictions d'anticipation, véritable apocalypse sociale, sont devenus une réalité. « Travaille ! Consomme ! Non, sois efficace : consomme à crédit en travaillant à bas prix ! »


Et, covid-19 aidant, tout cela alors que la transmission de courrier et de colis est un service reconnu comme universel, qui doit accessible à tous, expéditeurs comme destinataires, car essentiels pour le bonheur réel. Et c'est dans un quotidien britannique, pays victime du thatchérisme et de l'austérité de l'État, que cela est formulé.

Le premier novembre, Angelique Chrisafis, depuis Paris, a fait le point, pour les lecteurs britanniques du Guardian, sur la proposition de parlementaires français d'imposer des frais de port minimum à tous les libraires, sous-entendu aux géants comme Amazon qui les limitent à un centime.

Après explication du prix unique du livre en France pour rémunérer convenablement chaque métier de l'écriture, de l'édition et de la distribution, la journaliste explique comment les trois fermetures générales des commerces à cause de la pandémie du covid-19 a permis de constater la soif de lire des citoyens et le regain du consommer local d'une part, mais aussi du rôle essentiel du réseau postal à cette fin.

Lors du second confinement de l'automne 2020, la subvention publique accordée aux librairies pour les frais de port auprès de La Poste a permis à ces dernières de rester rentables malgré l'absence d'économies d'échelles. D'où à présent l'idée pour éviter de subventionner les petits de « taxer » les grands afin de protéger la diversité des entreprises, des auteurs et des thématiques mis en avant dans les librairies.

Un peu de justice économique dans ce monde de brutalité sociale.


Notes du jeudi quatre novembre 2021 :

1 : Et, la réalité continue au Royaume-Uni. Alors que les stylos et feutres oblitèrent déjà beaucoup de courrier et colis timbrés autant dans les bureaux de Post Office que dans les centres de tri de Royal Mail, les employés des bureaux de poste ont reçu une consigne autorisant l'oblitération au stylo, rapporte Norvic Philatelics.

Depuis mars 2021, des Machin de deuxième classe sont en vente : d'un grand format complété d'un code data matrix différent à chaque timbre - bientôt la lettre suivie ? Or, le système britannique semble nécessiter que ce code ne soit pas gêné par des traces d'encre (?!!).

Donc, une consigne a été passé aux bureaux : oblitérer à date sur la figure de la Reine mais pas sur le code-barre. Mais, en cas d'apposition de plusieurs de ces timbres sur une enveloppe large ou un colis, seul un timbre doit être oblitéré, les autres pourront être annulés au stylo !

2 : Merci à l'impatience klaxonnante face aux livreurs qui stationnent légèrement sur la chaussée au pied de l'immeuble ce matin : outre les dangers de la route auxquels font face les livreurs (dont on ne sait donc plus si ce sont des salariés titulaires, d'un sous-traitant ou des auto-entrepreneurs eux-mêmes sous-traitants), les livreurs des grands groupes privés de livraison sont très souvent au volant de véhicules de location.

La sous-traitance, un vaste sujet.


Note du dimanche neuf janvier 2022 :

3 : La suite sur la réorganisation de fin 2021 dans un article de ce dimanche, après un reportage de TF1 et deux de France Culture sur la vie quotidienne des facteurs.


2 commentaires:

polo93400 a dit…

Excellent article de fond sur les problèmes de fonctionnement des postes

Sébastien a dit…

Merci pour votre commentaire, mais je compile ponctuellement des informations de presse et des impressions personnelles. Il faudrait voir ce que des journalistes et des chercheurs en écriraient.