dimanche 9 juillet 2023

Φ : la monnaie d'une ville afrikaner

 Depuis 2010, dans l'espoir de convaincre les collectionneurs complétistes français de ne pas râler sur le trop grand nombre d'émissions à acheter, le service philatélique postal français appose une lettre grecque sur les timbres du programme philatélique, et pas sur les timbres d'usage courant, les carnets autocollants et les timbres pré-personnalisés.

À part le râleur que je suis, le monde φl@télique φr@nç@is trouva l'idée formidable : articles sur le nombre d'or, artiste s'amusant à placer le φ au milieu d'une reproduction d'œuvre ancienne, etc.

Heureusement (pour moi), un politicien eut lui aussi l'idée d'utiliser la même lettre grecque dessinée comme un Gavroche insoumis pour le lancement de son mouvement politique en 2017.

Extrait du communiqué de presse sur le passage du φ au Φ. 

Sans aucun rapport aucun... non, non, Sébastien, aucun rapport, φl@πoste passa au phi majuscule en janvier 2019, puis abandonna l'arobase dans son nom pour devenir Philaposte... Et le Musée de La Poste perdit son nouveau et éphémère nom L'Adresse qui devait le mettre en tête dans les annuaires des lieux culturels parisiens.


Hier, à la lecture du Figaro Magazine du vendredi sept juillet 2023, je découvre par recherches documentaires que le phi majuscule est depuis plusieurs années le symbole de la monnaie privée d'une petite ville autonomiste afrikaner en Afrique du Sud.

Dans la région semi-aride du Karoo, au bord du fleuve Orange sur la rive de la province de Cap-du-Nord, les terrains privés d'une ancienne ville de cadres et employés blancs d'un chantier de barrage de l'époque de l'Apartheid sont devenus la propriété privée d'un groupe souhaitant vivre en autonomie et entre Afrikaans. Les deux villes initiales, celle des Blanc et celles des Coloureds, furent abandonnées après le chantier.

En 1990, dès le début des négociations qui firent de l'Afrique du Sud devient une démocratie et la « nation arc-en-ciel » selon le slogan égalitaire, Carel Boshoff (1927-2011) racheta la concession d'Orania pour y établir une communauté autonome culturellement afrikaner.

L'article 235 de la Constitution d'Afrique du Sud reconnait le droit à l'auto-détermination d'une population culturelle. Des partis afrikaners tentèrent de créer un État indépendant entre Le Cap et la frontière avec la Namibie, sans susciter l'enthousiasme des personnes concernées : même si un nombre conséquent de Blancs d'Afrique du Sud souhaiterait un pays ou une région spécifique, leur dispersion sur le territoire national n'aide pas...

Surtout quand la région envisagée, et Orania en est un exemple, est rurale, à l'écart des grands pôles urbains, et nécessite ce qui fait le succès pour les habitants obstinés d'Orania justement : le refus d'utiliser le travail des Noirs et des Coloureds et donc...

Le drapeau d'Oania : Afrikaner se retroussant les manches.

Le drapeau d'Orania incarne la philosophie du projet autonome, dans tous les sens du terme autonomie : l'Afrikaner se retroussant les manches pour aménager lui-même son territoire et y rester malgré les Britanniques, la dureté du Trek, les population autochtones, etc.

Les articles de la Wikipédia en afrikaan et en anglais confirment le reportage de Vincent Joly pour Le Figaro Magazine : chaque habitant a un emploi, mais aussi doit des tâches collectives pour permettre à la communauté de se passer autant que possible des services de l'État sud-africain.

Depuis les années 1990, la ville profite du souhait des gouvernements successifs sud-africains d'éviter des conflits. Elle s'administre officiellement selon le système intérimaire municipal et concrètement comme une copropriété, mais, en contrepartie, ne bénéficie d'aucun avantage des autorités municipales, provinciales ou nationales.

Par exemple, c'est la copropriété qui achète en gros l'électricité à la compagnie nationale sud-africaine pour la revendre aux habitants... tout en construisant une centrale solaire et en imposant des panneaux solaires sur le toit des nouvelles maisons. Faute de participer à la municipalité officielle, le tri sélectif et le vélo sont encouragés.

Cependant, si la noix de cajou aide aux revenus de la communauté, de grands projets agricoles ont été abandonnés car le petit territoire ne pouvait les supporter en termes autant économiques qu'environnemental malgré la possibilité d'en vendre les produits à l'extérieur. Une grande partie de l'agriculture est donc vivrière et la scolarité visent les qualifications techniques les plus utiles pour la résilience.

La série H des billets en ora d'Orania (page économie du site officiel de la ville).

En 2004, la ville lance des billets en ora, une monnaie locale, dans le but initial d'encourager la consommation dans les commerces locaux, ceux-ci pouvant offrir des réductions pour les paiements en ora. Depuis 2011, une banque coopérative Orania Spaar- en Kredietkoöperatief gère les quelques centaines de milliers d'ora en circulation à raison d'un rand sud-africain pour un ora.

R10 = Φ10

Un beau grand phi majuscule est le symbole originel de cette monnaie dont les billets représentent dans les premières séries des allégories enfantines des étapes de l'histoire afrikaner et d'Orania, et la faune et la flore du Karoo.

La série A des billets en ora (2004-2006) proposée neuve avec numéros identiques sur eBay.

Les billets sont réimprimés en différentes couleurs tous les trois ans. La série H en cinq billets montrent une importance accrue des systèmes de sécurité, dont l'Afrikaner se retroussant les manches reconstitué en posant les cinq billets verticalement.


La médiatisation d'Orania conduit depuis 1991 aux interrogations sur les motivations de vivre en communauté autonome. Un refus de vivre en mixité ? Non puisqu'il n'y a pas de barrière sur la route provinciale traversant le village en son milieu et que tous les clients alentours sont bienvenus dans les commerces et hôtellerie. Une forme de racisme ? Les partis afrikaners qui souhaitent un État indépendant n'apprécient plus Orania dont les dirigeants préfèrent une vie autonome tranquille.

Une utopie communale ? Et culturelle ?

Apparemment, Nelson Mandela et plusieurs dirigeants de peuples d'Afrique du Sud affirmant leur culture propre ont visité la ville, découvert des habitants qui souhaitent rester entre Afrikans (les dossiers de candidature requièrent culture, langue, de pratiquer un certain christianisme calviniste), vivre en sécurité en petites communautés ouvertes (au contraire des gated communities des très riches des grandes villes), et surtout comment dépendre le moins possible de l'extérieur tout en gardant contact.


Que Le Figaro s'intéresse à cette communauté dans le contexte politique actuel français... tousse-tousse... même si le reportage appartient à ces moments de journalisme du Figaro magazine que les « unes » feraient rater.

Car il y a de quoi susciter les réflexions sur l'autonomie d'un quartier comme point de départ de la transition environnementale et de meilleures manières de consommer produits et espaces. Comme un article d'il y a quelques mois sur un golf de luxe aussi écologique que possibles dans le même magazine.

Par contre, j'en reviens à mon obsession : qu'ont-ils tous avec la lettre phi ?!!

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