mardi 31 août 2021

Pourquoi donc frapper des pièces pour les colonies françaises ?!

 C'est une formulation simple de l'étude proposée par Hugo Carlier dans son mémoire de master (« D.E.A. » pour les anciens) titré La Souveraineté monétaire dans l'Empire colonial français 1879-1939. Il a reçu le prix Ithaque-Marquet du master d'histoire économique, ce qui lui a permis d'être publié en juin 2021 (éditions Ithaka, ISBN 9782956629566).

Couverture de l'ouvrage (à commander chez votre libraire).

Le propos est en effet intéressant aux numismates souhaitant dépasser la simple cote d'achat-vente de telle ou telle pièce coloniale, même s'il faut accepter que l'exercice consiste autant à évoquer le sujet titré qu'à faire le point sur l'état de la recherche et de la connaissance avec forces notes et renvoi vers d'autres ouvrages de recherche. Certains découvriront quels sont les notions et concepts qu'abordent les chercheurs actuels autour du fait colonial ou des représentations symboliques de la République française.

D'ailleurs le titre originel de son mémoire de 2020 permet au lecteur éloigné de l'université d'en comprendre le contenu plus aisément : Négocier la souveraineté monétaire sous la Troisième République. La monnaie métallique dans l'empire colonial français (1879-1939) », préparé sous la direction d'Alain Chatriot, professeur des universités à Sciences Po.

Si je résume grossièrement, les colonies françaises n'ont aucune autonomie monétaire aux yeux du ministère des Finances à Paris...

... sauf que les collectionneurs listeront de tête, avant les années 1930, les bons de caisse des Antilles et de la Réunion, les piastres de commerce de la Banque d'Indo-Chine, les roupies des comptoirs des Indes, les monnaies tunisiennes, togolaises et camerounaises.

C'est qu'entre l'idée-clé que le franc français est la monnaie de l'Empire et le fait que les colons et colonisés utilisent des pièces métalliques de franc français, il y a le gouffre de la masse de métal dont la France dispose réellement. Les gouverneurs réclament fréquemment à Paris des pièces pour satisfaire les commerçants de leur colonie... au risque que de bonnes pièces françaises fuient vers les colonies et pays voisins... Leur attrait est d'être aux formats de l'Union latine.

Déjà pointent les premières exceptions : dans les minuscules comptoirs indiens, la monnaie doit permettre des échanges aisés avec la roupie des Indes Britanniques ; en Indochine, la sapèque et sa symbolique (sa forme troué en carré, ses formules frappées) est préférée par les « indigènes »...

Comme pour le protectorat tunisien et les mandats du Togo et du Cameroun, il va être tenu compte de ses exceptions car, face au manque de monétaire français, il y a la concurrence commode d'utiliser les monnaies métalliques d'autres puissances rivales, britannique, allemande et même le Thaler de Marie-Thérère que l'Autriche frappe encore avant la Première Guerre mondiale alors qu'elle est démonétisée localement.

On pourrait croire que c'est l'invasion de monnaies rivales qui animeraient les ministères et administrateurs français... À la lecture des recherches d'Hugo Carlier, il semble que, la plupart du temps, ce sont des considérations économiques et comptables, parfois diplomatiques, qui préoccupent les ministères parisiens plutôt que le rayonnement des valeurs de la République civilisatrice.

Il faut, en effet, découvrir dans les archives ministérielles et parlementaires le combat du ministère des Finances pour conserver les bénéfices de la frappe monétaire - le seigneuriage -, moins par souci d'expression de la puissance métropolitaine que par le fait que l'entité souveraineté conserve dans son budget le bénéfice de la transformation du métal en monnaie sonnante et trébuchante.

C'est ce principe que le Bey de Tunis et le gouverneur du Togo (sous surveillance de la Société des nations) comprennent très vite et savent rappeler à Paris par l'intermédiaire des ministères des Affaires étrangères et des Colonies : dans ces cas, la France n'est pas souveraine ; elle frappe la monnaie au nom d'un roi ou d'un peuple encadré...

... et voilà comment les pis-aller des Antilles et de la Réunion (bons de caisse, faute de monnaie métropolitaine aisément disponible) d'avant la Grande Guerre de 1914 deviennent un enjeu croissant chez les différents gouverneurs coloniaux pendant l'entre-deux-guerres. Ils voient dans l'émission de pièces de monnaie au nom de leur colonie un moyen d'équilibrer leur budget après les coûts de la guerre et les nécessités de construction d'infrastructures pour développer les pays.

Quand, enfin, le ministère des Finances cède, l'apparence de la monnaie est secondaire pour quasiment tout le monde, sauf exception d'un gouverneur soucieux de détail (le profil d'une Caraïbe en Guadeloupe) ou le cas d'un territoire où il faut s'assurer des apparences diplomatiques : l'équilibre France/Indochine voire l'absence de l'État-France en Tunisie. Le traité de protectorat pouvant imposer les mêmes droits à une puissance rivale, il ne faut pas donner de droit au royaume d'Italie de battre monnaie pour le Bey. Ailleurs, n'importe quel profil de Marianne fera l'affaire, surtout s'il est déjà gravé : il faut économiser pour protéger le seigneuriage.

Je pense que cet ouvrage sera utile à la culture des collectionneurs de monnaie. Quels débats ont conduit à la frappe ou à l'absence de frappe ? Pourquoi telle ou telle allégorie et tel texte ? Pourquoi des banques (d'Indo-Chine jusqu'en Polynésie) ont-elles exercé ce pouvoir au lieu de la puissance publique  ? Au risque de conflit dans le cas de la Banque d'Algérie pour les monnaies tunisiennes ?

Bref, la confirmation que cet empire, créé dans la violence militaire ou diplomatique, dans l'exploitation économique à sens unique, avec un peu de souci du développement des populations à partir de l'entre-deux-guerres, paraît géré au jour le jour et au meilleur coût possible pour les ministères de la Métropole.

L'avantage d'un mémoire universitaire sera que les curieux de tel sujet ou telle colonie bénéficieront d'une bibliographie permettant de prolonger leurs lectures et recherches au-delà, grâce aux notes, à une bibliographie et un index des personnages cités.

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