dimanche 7 juillet 2024

Le scandale Horizon ou les effets du capitalisme sans contrôle

 Le scandale du logiciel bugué Horizon au Royaume-Uni poursuit sa lente médiatisation, politisation et juridisation.

Ce logiciel de gestion fut installé en 1999 par Fujitsu et Post Office Ltd., entreprise publique des bureaux de poste, et à partir de 2009, fut connu publiquement pour ses graves défauts grâce à un article de Computer Weekly. Neuf cents sous-maîtres des postes furent accusés de fraude ou de mauvaise gestion financières. Au mieux, ils perdirent leur licence postale, au pire, procès avec amendes, prison... mise en banqueroute personnelle..., maladie et destruction familiale et au moins quatre suicides.

Cependant, malgré les premiers succès judiciaire d'une action de groupes des sous-maîtres de poste, des commerçants faisant office de relais postal, à partir de 2019, il aura fallu la diffusion la semaine du jour de l'An 2024 de la mini-série Mr Bates vs The Post Office par ITV pour que les politiciens nationaux prennent conscience d'avoir laissé les dirigeants de Post Office sans contrôle et, en année électorale, des conséquences pour le Parti conservateur.

Car, en effet, il faut désormais indemniser l'ensemble des personnes concernées avec dommages et intérêts. Pire constitutionnellement et juridiquement, choisir entre occuper des milliers d'heures des tribunaux pour rejuger chaque condamné pour les innocenter... ou voter au Parlement une loi d'amnistie créant un précédent dans ce pays coutumier. Ce qui fut fait en mai 2024 aux Parlements de Londres et d'Écosse.

Pour les détails de ces vingt-cinq ans, des internautes tiennent au mieux les articles de la Wikipédia en anglais et en français.

Caricature de Ella Baron pour The Guardian, publiée le vingt-deux mai 2024.
Depuis, le timbre-poste, le courrier et le facteur sont revenus sur les caricatures de la presse britannique pour toutes occasions.

C'est ainsi qu'enfin, la commission d'enquête parlementaire de 2020 parvint en 2024 à entendre publiquement les dirigeants passés et présents des deux entreprises concernés : Fujitsu et Post Office Ltd qui, apparemment, savait que ce logiciel ne fonctionnait pas dès sa conception et commettait des erreurs constantes de caisse. Une des victimes a pu témoigner que c'était toujours la même somme en erreur à chaque fin d'exercice ; heureusement pour elle, elle décida d'abandonner sa franchise quitte à ce que son commerce soit moins attractif.

Lenteur parlementaire ? Oui : en 2019, la Haute-Cour a reconnu la responsabilité du logiciel. Cinq cents cinquante-cinq victimes menées par Alan Bates reçurent cinquante-huit millions de livres sterling... enfin, douze millions une fois payé leurs défenseurs et certainement les expertises scientifiques.

D'où les demandes de révision des procès initiaux avec demande de dommages pour l'ensemble des deux mille sept cents cinquante sous-maîtres des postes concernés qui pourrait atteindre un total d'un milliard de livres !


Donc, à un milliard de livres et quelques, justice, police et parlementaires sont à la recherche de responsables.

Ainsi, en mai 2024 pendant que le Premier Ministre Sunak demandait au Parlement cette amnistie générale, Paula Vennells fut interrogée par la Commission d'enquête parlementaire, caricaturée le lendemain par Ella Baron dans The Guardian.

Ce fut le sommet des témoignages montant la hiérarchie du Post Office se refilant la patate chaude de savoir qui savait quoi du logiciel, qui n'avait pas compris le vocabulaire informatique (et faisait confiance), etc.

Certes, certains avouèrent avoir dit au Conseil d'administration que le logiciel était robuste et les plaignants des voleurs ou des incapables... Mais, les sous-maîtres de poste témoignèrent des méthodes menaçantes et traumatisantes de chaque étage du Post Office. Parmi les Administrateurs de l'époque, certains savaient les défauts dès 2011, mais n'avaient pas fait le lien avec les problèmes de caisse...

Au sommet, présidente-directrice générale de 2012 à 2019 et juste avant directrice exécutive en charge du quotidien de Horizon, Paula Vennels pendant trois jours admit son ignorance de l'informatique, d'avoir suivi tous les conseils horribles et les mensonges qui lui furent donnés par l'ensemble des cadres dirigeants de Post Office...

... La cession 2024 se conclut en effet par les aveux de Gareth Jenkins, ingénieur principal de la conception de Horizon, qui témoigne croire avoir créé un bon logiciel (tousse... tousse...), mais qu'il modifia une expertise à la demande de Post Office pour faire croire qu'une des plaignantes défendant son honneur avait bien volé de l'argent.


C'est pour cela qu'après un quart de siècle de silence des grands médias et de politiciens déléguant à Post Office et aux juges la charge de vérifier des domaines aussi pointues que de vérifier la fraude informatique, une phrase de Paula Vennells ne passa pas, celle indiquée sous la caricature :

Ma profonde souffrance est de penser que des individus, moi incluse, avons commis des erreurs, n'avons pas vu des choses, ne les avons pas entendues.

Le cafard détournant les trois singes de la sagesse de leur signification : ne pas voir le mal, ne pas l'entendre, ni le dire...


Hélas, à ceux qui croient que cette longue affaire fera date et exemple pour d'autres entreprises logicielles et leurs entreprises-clientes, l'actualité de cet été 2024 est nuagueuse sombre.

Dans deux affaires de pêcheries contre un règlement fédéral surveillant leurs prises, l'actuelle (trop) conservatrice Cour suprême des États-Unis a annoncé que l'action punitive de l'Agence était annulée car fondée sur une jurisprudence de la Cour suprême que la Cour suprême actuelle ne reconnaît plus : la déférence Chevron de 1984.

Pendant les années 1970 de prise de conscience environnementale et des excès des industries polluantes, l'Administration Nixon (!) fut le cadre du vote de loi de protection de l'environnement (eau, air,...). Sous Reagan, la dérégulation devint la règle jusqu'à cet arrêt de 1984. La Cour suprême reconnaissait alors qu'un juge fédéral ne pouvant avoir une connaissance précise de certains aspects hautement techniques et faisant face à devoir interpréter les imprécisions de la loi, peut se tourner vers l'Agence fédérale concernée et appliquer l'interprétation de cette dernière.

L'État administratif garantit ainsi la protection des citoyens si jamais l'État fédéral, objet de tensions politiciennes, avait laissé des vides ou n'arrivait pas à suivre les évolutions technologiques. Pour en savoir plus sur tous les domaines qui, d'ici quelques années, vont transformer les États-Unis en monstre capitaliste encore plus dérégulé : ces articles de The Verge du vingt-huit juin 2024 ( 1 et 2 ).

Post Office Ltd et Fujitsu furent mal régulé alors que l'une est une entreprise publique et l'autre une des plus importants fournisseurs informatiques du gouvernement britannique !

Dans l'Union européenne, chaque État protège-t-il assez les citoyens par des agences spécialisées ? La Commission européenne et le Parlement européen pourront-ils continuer à guider ces agences au profit de tosu ? Ou une telle dérégulation arrivera-t-elle chez nous aussi ? Indice ?


Dernier élément : Horizon se trompe dans vos comptes et vous finissez en prison. Que dire alors des machines de vote électronique ?

Aucun commentaire: